Lors des 11e Rencontres François Rabelais, des tables rondes étaient organisées en présence de chefs, directeurs de salle, chercheurs et universitaires autour du thème central recevoir : l’art et la manière. François Pinay Rabaroust, rédacteur en chef du webjournal Atbula, animait l’une d’entre elles autour de la question : le chef de cuisine doit il être présent en salle ? Quel est le gain pour le chef cuisinier, est-ce bénéfique ou non, quel impacts sur la valorisation du travail du personnel de salle ? Autour de la table, trois chefs cuisiniers et un directeur de salle, Christophe Hay, chef de La Maison d’A côté, Montlivaut, David Royer, chef de l’hôtel restaurant Les Orangeries, Lussac-les-Châteaux, Jacquelin Pujole, ex restaurateur, La Table de Georges, Tours et Gil Galasso, MOF Maître d’hôtel du service et des arts de la table, Lycée Biarritz Atlantique. Retour sur les échanges.
David Royer : Au départ, lorsqu’on a voulu ouvrir un restaurant en Finlande, à Helsinski il y a 10 ans la question s’est d’abord posée du lieu. On était deux sur le projet et finalement le lieu qu’on a trouvé, se prêtait au fait que les cuisiniers se retrouvent aussi en salle. C’était une grande salle avec une grande table de 16 couverts, comme une table d’hôte. On s’est rendu compte qu’avec les clients tout se passait très bien. Et avec l’évolution du projet, on a simplement rajouté des cuisiniers en cuisine.
Fanck Pinay-Rabaroust : c’est donc une question et un choix économique…
Christophe Hay: je ne néglige pas du tout la salle, car pour moi c’est vraiment important et complémentaire au métier de cuisinier. J’ai également du personnel en salle : un commis de salle, chef de rang, j’ai un sommelier qui a un rôle très important, ma femme m’aide aussi au service. Aujourd’hui, ce que j’ai voulu créer c’est une alchimie entre tous les services. Dans mon restaurant, tout le monde s’implique, du commis de cuisine au plongeur, avec comme objectif commun de rendre heureux le client et lui permettre de passer un moment unique.
Fanck Pinay-Rabaroust: Estimez vous que le cuisinier est le plus à même de parler au client de ses plats ?
Jacquelin Pujole : je me pose encore la question de savoir comment j’y suis arrivé ! car gérer 25 personnes tout seul par jour toutes les semaines ce n’est pas forcément facile. Ce qui est important , c’est que le client ai la lecture la plus simple possible du plat qu’il va déguster. Cela ne veut pas dire que cela doit être obligatoirement le cuisinier qui présente le plat, mais cela passe par une connaissance très précise du plat qui va être servi par le personnel de salle. Certains grands chefs ont comme technique de faire goûter chaque plat au personnel de salle et d’explique les ingrédients constitutifs de chaque plat. Dans ce cas, il n’y a pas d’obligation à ce que le chef se déplace si cette explication est bien transmise.
Fanck Pinay-Rabaroust : Pour vous, il n’est pas impossible de transmettre exactement la manière de parler du plat réalisé par le chef, sans que ce dernier soit obligé de venir en salle ? Ou y-a-t-il une incompatibilité presque philosophique, à ce que ce soit une autre personne qui vienne présenter le plat ?
Jacquelin Pujole : il n’y a aucune incompatibilité. On oppose toujours les manuels aux intellectuels. Pour moi il n’y a que des intellectuels. A partir du moment ou il y aura un minimum d’intelligence, de respect du client, de sens relationnel, on peut tout faire.
Fanck Pinay-Rabaroust : Gilles Galasso, il y a une vraie tendance aujourd’hui à la présence du chef en cuisine, quel est votre point de vue par rapport à votre métier de formateur de jeunes professionnels de salle ?
Gil Galasso : je comprends parfaitement que le serveur doive maîtriser les notions de cuisson, et mettre en avant le cuisinier. Mais ce que je défends, c’est que la salle est un vrai métier, à l’instar de la sommellerie, le bar, la pâtisserie…
Le travail que je réalise avec mes élèves à Biarritz n’est pas un travail sur la cuisine. La première expérience que je leur apporte c’est celle de l’émotion du lieu. On va essayer de placer le client au centre de la prestation, et non pas l’assiette. Le client peut entrer dans le restaurant pour autre chose que simplement la cuisine. On travail avec un outil, le cube, qui représente sur chaque face, les six vues que le client peut voir depuis sa place dans le restaurant. Le jeune doit être capable d’avoir une conversation avec le client sur chacune des vues que le client aura devant lui pendant deux heures.
Par ailleurs, le métier de serveur est basé sur une gestuelle qui est de l’ordre artistique, à l’inverse de celui du cuisinier, plus technique. Si j’arrive à faire accepter que le geste du serveur est un geste artistique, j’aurais réussi à valoriser un peu plus ce métier.
Gilles Galasso : un exemple, avec le service du jus ou de la sauce. En versant le jus, l’esthétique de l’assiette va être modifiée par rapport à ce que voudrait le chef de cuisine. Par ce service du jus travaillée, nous allons apporter une valeur ajoutée à l’assiette.
Fanck Pinay-Rabaroust : Récemment, il y a une une modification en 2011 et 2014 -2015 pour les Bac Pro et BTS, sur la formation de ceux en cuisine, qui avaient avant une formation en salle et inversement. Cela n’existe plus et cela paraît surprenant. Qu’en pensez vous ?
David Royer, c’est effectivement dommage. Chez nous aussi aux Orangeries, nous essayons de faire en sorte que les postes s’inversent pour que chacun comprenne le travail de l’autre.
Fanck Pinay-Rabaroust : Avez vous le sentiment que par rapport à certains gestes techniques, comme la découpe en salle, il y a une déperdition chez les nouveaux serveurs aujourd’hui , des gestes que vous en tant que chefs vous maîtrisez la technique mais moins la capacité de le faire devant les clients
Christophe Hay : Je pense au contraire qu’il y a un retour à ces techniques de salle qui ont un peu disparu avec l’arrivée du dressage à l’assiette. Maintenant cela demande beaucoup de personnel, et dans des petites entreprises comme les nôtres c’est plus compliqué.
Gil Galasso : un premier point, on note d’un problème de recrutement pour le service de salle. Je pense qu’il faut rendre la fierté au métier de la salle. La découpe participe de cette démarche. On parle du service à l’assiette, c’est assez récent, alors que le geste de découpe est presque millénaire. On est de moins en moins à savoir réaliser des gestes, on les enseigne de moins en moins dans les écoles hôtelières, alors qu’au contraire on devrait valoriser ces gestes.
Jacquelin Pujole : je pense que les clients ont des comportements « d’achat » par rapport à la restauration de plus en plus pointus et sophistiqués. A chaque moment de leur vie de leur journée va correspondre une attente particulière en restauration. Le même client va être capable d’attendre un service plus sophistiquée, un découpe au guéridon tel jour parce qu’il voudra fêter un évènement particulier, et à d’autre moment il cherchera quelque chose de beaucoup plus simple. Et pas forcément dans un grand restaurant. Aujourd’hui on a un mix produit, qu’attend le client qui est composé de la cuisine, le cadre, le prix, le rapport qualité prix l’ambiance. Il n’y a pas d’élément pré dominant. C’est une espèces de marmite dans lequel tout bouillonne. Mais tout peut très bien cohabiter.
Gil Galasso : je ne suis pas tout à fait d’accord. Je pense qu’on peut faire des choses très rapides, qui vont rendre la fierté au service de salle, sans passer 25 minutes au guéridon, ce qui serait incompatible avec les codes actuels. A chaque fois qu’on a l’opportunité de montrer un savoir faire technique au chef dans la salle, il faut le faire. On gagnera la confiance des chefs. Ces derniers vont commencer à refaire le pari de la salle : Régis Marcon, ou Joel Robluchon, qui replacent le service et la découpe au centre du repas.
b[Fanck Pinay-Rabaroust : On parle ici de la très haute gastronomie…]b
Gil Galasso : on peut très bien réaliser une découpe de côte de bœuf correctement à Buffalo Grill
Fanck Pinay-Rabaroust : Mais y aura t-il la même attention, la même formation qualitative du personnel dans ces maisons là ?
Gil Galasso : on doit pouvoir arriver à former du personnel de salle, quelque soit le niveau de restauration. Même en bistronomie.
Fanck Pinay-Rabaroust : Comment peut on adapter les gestes très théâtraux des grands restaurants au quotidien des restaurateurs ou des bistrots ?
Christophe Hay : mis à part le découpage, les gestes théâtraux existent chez moi, le redressage, le débarrassage de table existent. Le métier de salle est encore présent. La différence c’est que nos clients sont de plus en plus pointus en cuisine. Ils aiment « bidouiller » chez eux en cuisine et connaissent plus de produits. Donc quand un cuisinier amène un plat est capable de discuter sur la cuisson d’un plat, sur la façon de faire un plat…. ce sont des questions que l’on a à chaque service.
Jacquelin Pujole : je n’étais pas un spécialiste du « lancer de couteau », mais quand j’avais 25 personnes qui « criaient famine » c’était un service plutôt à la hussarde qu’à la danseuse…. Les gestes de grand restaurant n’auraient absolument pas été recopiables dans un concept comme le mien. De plus je n’étais pas chef, j’ai une formation d’école de commerce, c’était une passion. N’ayant pas connu les deux filières, cuisine et service, c”était d’autant plus compliqué de faire les deux.
David Royer : c’est aussi l’âme qu’on veut donner à son restaurant. Chez nous cela aurait sans doute effrayer les clients
Christophe Hay : on a besoin du personnel en salle. L’avantage c’est qu’il n’y a pas de barrière. Je suis très pointu sur le service du pain à table, du vin également. On a pas oublié ces métiers, et qui contribuent à ce que le client soit heureux.
Fanck Pinay-Rabaroust : autre point important, c’est le phénomène des cuisines dans la salle. D’un point de vue architectural même, il y a la confusion de l’un dans l’autre et cela questionne aussi la notion du service
Christophe Hay : quand on va dans ce genre d’établissement, on y va aussi pour passer un bon moment pour sortir la tête de ce qui nous entoure. Quand j’ai créé mon restaurant j’avais envie de créer un cocon, pour que les gens qui entrent chez nous, ils se sentent dans un autre monde, et qu’on puisse être a l’écoute de chacun. C’est parfois compliqué. Mais je reçois des chefs d’entreprise qui repartent de chez nous en nous disant qu’ils ont tout oublié durant le repas …. On va évoluer sur un autre projet, ou je vais avoir mon fourneau dans la salle, je ne vais pas réinventer la cuisine, mais j’ai envie de créer une ambiance un endroit ou l’on se sent bien et ou l’on soit proche de nos clients.
Franck Pinay-Rabaroust : depuis quelques années, le chef est devenu la star, ou le maître d’hôtel est en second plan, et du coup, vous cherchez à exister de nouveau. Ce qui est surprenant c’est que vous n’avez pas réellement réussi à structurer votre profession, et du coup vous souffrez d’un déficit médiatique…
Gil Galasso : c’est tout à fait exact. J’ai été personnellement élevé dans cette attitude de servilité, d’humilité, du service en salle, dans la discrétion. Aujourd’hui c’est très difficile pour moi d’essayer de séduire le chef de cuisine pour obtenir cette reconnaissance.
Franck Pinay-Rabaroust: aujourd’hui faut il s’interroger sur l’avenir du métier de salle ?
Christophe Hay : à l’ouverture du restaurant La Maison d’A côté je me disais que je n’aurais pas de problème pour le recrutement. Mais en fait je n’arrivais pas à trouver de candidats, pourtant le restaurant avait une dynamique. J’avais envie d’avoir des personnes compétences et qualifiées. Ma satisfaction c’est quand les clients me disent que ma commis en salle est agréable et a le sourire… Chez moi chaque personne à sa place et chaque personne est importante.
Gil Galasso : dans une école hôtelier aujourd’hui on a plus de demandes pour la cuisine que pour la salle. ce que j’essaie de faire dans la formation c’est de faire aimer les métiers de la salle. Et puis avec les jeunes qui ne sont pas motivés par ces métiers, j’essaie de leur montrer que c’est aussi les métiers de la vie : l’élégance, la manière de s’habiller, de parler,… ce sont des éléments qui vont les aider à avoir une vie d’homme, a avoir une vie sociale.
Les Rencontres François Rabelais sont organisées par l’IEHCA et l’Université François Rabelais
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