Nous avons tous l’impression de parfaitement connaître le pot-au-feu, et déjà Marie Antoine Carême en disait que c’était « l’âme des ménages ». Un pot, de la viande, de l’eau, du sel et on cuit : cela semble simple, n’est-ce pas ?
Pourtant, Joseph Favre, au début du 20e siècle, disait que l’on désignait d’abord par ce nom un pot de terre ou de métal, allant au feu : le pot du pot-au-feu, c’est d’abord le pot ! Certes, il observe que « pot-au-feu » se dit aussi des substances bouillies et contenues dans ces pots ou marmites ; dont l’étymologie se rapporte à oille et olla podrida. Mais il indique aussi que, à son époque, on nommait pot-pourri ou potage, toutes les substances cuites pêle-mêle dans le pot-au-feu et divisées pour le service. Dans le langage « moderne », ajoute-t-il, on entend par pot-au-feu le bouillon, le bouilli et sa garniture.
Remontons dans le temps : en 1798, on désigne par pot-au-feu la viande destinée à être mise dans le pot. Et le terme n’apparait ni dans les livres d’André Viard (Cuisinier royal, Cuisinier impérial), ni dans les livres de Nicolas de Bonnefons, au 18e siècle, ni chez LSR, bien avant.
Et pourtant, quelle débauche de précisions culinaires depuis que l’on emploie le terme dans les livres : cela va de la nature du pot à la manière de poser le couvercle, en passant évidemment par la nature des viandes ou de l’eau.
A ce jour, il faut quand même observer que nos « pots » sont en acier inoxydable, qui n’ont ni les inconvénients des pots en terre (ils cassaient, ils donnaient du goût), ni les inconvénients des pots en cuivre (le vert de gris est toxique), ni les inconvénients du cuivre étamé (il fallait fréquemment rétamer, sans compter que l’étain n’est pas parfaitement sain), ni les inconvénients de l’aluminium (il faut en limiter la consommation) : bref, l’acier inoxydable est une merveille moderne que nous oublions d’admirer.
Empoter à froid ? A chaud ? Porter lentement ou rapidement à frémissement ? Peu importe du moment que l’on ne fait que « frémir », c’est-à-dire cuire à basse température, car c’est l’ébullition, associée au « coup de feu », qui durcit les viandes, les « assèche ». Ce qu’il faut, c’est cuire longuement (plusieurs heures ou dizaines d’heures), et à basse température, pour dissoudre le tissu collagénique qui est souvent abondant dans les « viandes à braiser ». Aucun besoin de mettre sous vide : il suffit d’un très petit feu bien réglé, soit sur une plaque électrique constante, soit dans un four que l’on règle à une basse température.
Les proportions de viande et d’eau ? Emile Jung mouillait seulement à hauteur. L’eau ? Nous n’avons plus les affres d’antan, car notre eau du robinet est potable. D’ailleurs, nous n’avions pas vu de différence sur les viandes cuites dans différentes eaux. Le choix des viandes ? Ce n’est pas à moi de le dire, puisque c’est une question artistique, qui revient aux cuisiniers. Le couvercle ? Il s’impose, pour bien conserver toutes les molécules odorantes : tout ce qui sent bon dans la cuisine est perdu pour le plat.
Hervé This