Comment présenter Gilbert Mestrallet sans le restreindre à sa fonction de sommelier ? Comment dévoiler cet homme de grand cœur qui ne cesse de se mettre en retrait pour narrer la grandeur des lieux et la magnificence du Crocodile, le célèbre restaurant strasbourgeois de la rue de l’Outre?
Gilbert Mestrallet a été sacré Meilleur Sommelier/Maitre d’hotel de France en 1980, mais il est également le directeur de salle du restaurant jadis 3 étoiles Michelin, l’alter ego, le complice bienveillant de Monique et Emile Jung, puis l’associé de Philippe Bohrer lors de la transmission et le fil conducteur avec le nouveau propriétaire Cédric Moulot. Narrateur extrêmement précis et fiable, le conteur passionné de cette institution gourmande, en est aussi le témoin, incarnant la mémoire vive du passé, l’existence d’un présent et l’avenir du célèbre Crocodile.
Son premier jour au Crocodile
Une soif inaltérable d’apprendre
Jean-Marie Stockel avait posé la trame de la carte des vins. En quittant la maison d’Alain Chapel, il avait tous les contacts dans les domaines très prestigieux, citant le marquis d’Angerville, ou un corton Bresson de Tollot-Baut en 1978.
«J’ai été formé aussi bien par Monique que par Emile Jung», reconnaît Gilbert Mestrallet. Lui formidable cuisinier-saucier au palais aiguisé et grand connaisseur des vins. Elle, tout autant passionnée et cultivée, lui a transmis le savoir-faire, le savoir-être et la compréhension du goût. « Vous verrez, vous apprendrez à reconnaître les saveurs, une cuisson juste et une association heureuse», le rassurait-elle. «J’étais impressionné par leurs connaissances et Les Jung allaient toujours au bout du goût », se plait-il à marteler avec conviction «au bout du goût, oui ! inlassablement».
«Je n’ai pas de vin, de région, ni de cépage préféré», confie Gilbert Mestrallet. «Le vin est une émotion souvent couplée avec une émotion factuelle (un lieu) et relationnelle (des personnes). «Au crocodile, nous ne servions pas de vins jeunes, mais essentiellement des vins à leur apogée. C’est la finalité du métier de sommelier, celle d’évaluer un nouveau millésime en devenir, l’acheter, le garder et le déguster à son apogée».
Une vie liée à celle de Monique et Emile Jung
«Mais aucun n’a fait de caprice de star», reconnaît Gilbert Mestrallet ; «Ces V.I.P. adaptaient leur comportement au style de la maison. Nous avions la clientèle que nous méritions», disait Madame Jung».
«Ma vie est liée à celle du crocodile et à la famille Jung», admet le sommelier. «J’ai partagé leurs joies, leurs peines ; elles étaient aussi les miennes. Je suis arrivé sans doute au bon moment dans une famille de restaurateurs. Je m’y suis bien senti et j’y suis resté, tout simplement. J’ai beaucoup appris, j’ai rencontré tellement de monde, découvert les plus beaux produits, j’ai une chance extraordinaire. Je prenais plaisir à venir les lundis, le jour de fermeture pour aider madame Jung dans la partie administrative ou à la blanchisserie. Nous discutions de longues heures».
Pourtant, après tant d’années passées à se côtoyer, se confier, après l’énonciation de telles considérations, de marques d’attention, d’affection, d’admiration et de complicité, force est de constater que le vouvoiement reste de mise. Là, réside l’empreinte perceptible d’un très profond respect, d’un amour qui symbolise une relation filiale entre deux professionnels perfectionnistes.
Par Sandrine Kauffer
Crédit photos ©Sandrine Kauffer