Maryline et Stéphane Caron, propriétaires de La Boulaye à Athée-sur-Cher @Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Maryline Caron, cheffe du restaurant La Boulaye : « Ce qui compte c’est l’histoire que l’assiette raconte au client… »

Maryline et Stéphane développent depuis 18 ans sur la commune d’Athée sur Cher, une table gastronomique, La Boulaye, un restaurant de campagne atypique, à l’abri du tumulte urbain. Rencontre avec Maryline Caron, cheffe en cuisine, qui compose une carte alliant fantaisie et authenticité. 

Votre parcours est assez particulier. Racontez-nous comment vous êtes arrivée dans cet univers de la restauration ?

J’ai toujours été attirée par la décoration, comment créer une ambiance, une atmosphère. Ma mère me disait « la déco, pour sortir du lot, ça risque d’être compliqué !» elle m’a conseillé de m’orienter plutôt vers l’hôtellerie. Après mon bac j’ai donc opté pour cette voie mais plutôt orientée vers la gestion. Je suis entrée à l’Institut Vatel à Paris, une école de gestion hôtelière. J’ai donc avant tout appris à gérer un établissement. Ce qui me plaisait c’était surtout l’ouverture à l’international. Je suis revenue en Touraine, ma terre natale, car j’avais besoin d’un espace vital, de place, ce que je ne trouvais pas à Paris.

Vous avez approché la cuisine également à l’Institut Vatel?

Oui, c’est d’ailleurs l’option que j’ai choisi, car j’avais beaucoup à apprendre dans ce domaine. J’ai appris les bases et avec les stages de 6 mois, on pouvait avoir déjà un bon bagage. J’ai fait mon stage en Touraine, au Choiseul avec Pascal Bouvier (Au Coin des Halles, Langeais 1 Bib Gourmand, ex 2* au Choiseul en 1995, NDLR). Là, à 18 ans, j’ai découvert la cuisine et ma passion en même temps…

Quels sont vos souvenirs de cette première expérience avec un grand chef ?

Pascal Bouvier avait une approche avant-gardiste, dans les présentations, l’utilisation des herbes… Tout ce qu’il me montrait me plaisait. Je me suis aussi vite retrouvée dans une situation flatteuse, même si j’étais la seule fille en cuisine et que j’étais quand même un peu regardée comme une « bête curieuse ». Mais la brigade découvrait aussi le travail avec une femme et finalement ils m’ont laissé un poste rapidement. J’ai saisi cette chance….

 

@Nouvelles Gastronomiques de Touraine

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Après ce stage, vous trouvez un job dans l’enseignement. C’est étonnant ?

Je n’ai pas réussi à travailler en cuisine à l’issu du stage, à la fois parce que j’étais une femme et aussi en raison de ce parcours hors cadre. J’ai donc accepté ce poste de formatrice dans un centre de formation pour jeunes apprentis et adultes à Azay-le-Rideau. Et finalement j’ai adoré ces huit années d’enseignement. Je me suis épanouie dans cette approche de mon métier, cette relation pédagogique.

Et comment êtes vous arrivée ici à la Boulaye ?

La Boulaye était un parc de loisirs tenu par ma mère, avec une crèperie, des activités pour les enfants. Mon mari travaillait souvent avec elle et quand j’ai quitté l’enseignement nous avons décidé d’investir dans le centre de loisirs en 1998. Nous avons développé la salle de restaurant en essayant de tirer profit de l’environnement. Au départ, nous avons travaillé sur un concept de restaurant de campagne brut. Une cuisine du terroir, avec des produits locaux. Et puis très rapidement le restaurant a évolué, la cuisine avec mes propres influences, en suivant aussi l’évolution des techniques. Par exemple, lorsque nous avons refait la cuisine, en structure bois, nous avons opté pour une cuisine froide, sans feux gaz… Et nous voyons vraiment la différence notamment en termes de conditions de travail…

Quel serait votre bilan aujourd’hui de ces années passées en cuisine ?

On est aussi aujourd’hui influencé par des courants qui nous amène à cuisiner plus sain, à raccourcir les filières, tout en procurant toujours du plaisir aux clients… Les comportements de nos clients évoluent aussi et paradoxalement c’est plus difficile pour un chef de répondre à la demande. Je pense qu’il faut ressentir cette évolution, etre sensible à ces questions. Nos méthodes de cuisine ont changé. Les cuissons, les fonds ne sont pas élaborés de la même manière. Les sauces sont liées aujourd’hui avec des légumes, mixés, alors qu’hier on rajoutait un amidon et on rajoutait du beurre à la fin. Mais je crois qu’avant tout c’est la manière dont on envisage la cuisine, ce qu’on entend par « aller au restaurant ». On n’a pas la même définition de la cuisine et de l’acte de manger, même en temps que chef. C’est ce qui fait qu’ensuite en tant que chefs on est tous différents.

 

 

Maryline Caron @ Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Maryline Caron @ Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Qu’est ce qui vous plait vous, en tant que chef en cuisine ?

Ce que je recherche c’est la fantaisie et la découverte. Ce qui m’importe c’est l’interrogation que va susciter l’assiette que je réalise. Ce que je souhaite c’est que le client se demande « je connais cette saveur, j’ai déjà ressenti ça. C’était où ?». C’est l’histoire que raconte l’assiette au client… C’est le principe de la Petite Madeleine… Personnellement je vais au restaurant pour discuter de ce que je vais manger. C’est l’échange que va susciter la dégustation de l’assiette. Le souvenir, la mémoire, et un peu du mystère qui reste là, à la fin du repas…

Le voyage est important pour vous. Depuis quelques années, vous partez régulièrement en Thailande….

On a toujours travaillé pour voyager. On est allés un peu partout, avec mon mari, surtout dans des pays avec de l’eau, car nous faisons de la plongée. Mais on avait jamais posé nos valises et depuis trois ans nous allons réguièrement nous ressourcer sur une île de Robinson en Thaïlande à la frontière du Cambodge. Un endroit très préservée, loin de la Thaïlande touristique.

L’Asie a une influence sur votre cuisine ?

Oui. Il y a des saveurs surprenantes en Asie. Et aussi parce qu’il y a un niveau culinaire impressionnant. Une soupe, vendue par la petite dame sur le bord de la route, c’est juste un bouillon de légumes dans lequel on rajoute des légumes croquants justes cuits, des morceaux de cacahuètes … c’est ultra simple, En France pour avoir ce niveau il faut déjà gérer énormément de choses ! Ce que je recherche dans cette cuisine, ce n’est absolument pas de reproduire des plats thailandais ou asiatiques mais de m’inspirer de ses techniques. Ce que j’aime, c’est le côté délicat, amené par petites touches dans un plat terroir, cela amène de la légéreté….

C’est une culture très tendance dans la cuisine française. Vous qui aimez sortir du cadre, la fantaisie, n’est ce pas un peu paradoxal de suivre une tendance… ?

Elle est très tendance, c’est sûr, mais surtout très agréable. La cuisine asiatique est assez facile à mélanger avec la cuisine française. Il y a des connexions notamment sur les herbes, les infusions, les jus. La cuisine française est basée traditionnellement sur les sauces ; or s’inspirer de cette culture asiatique permet d’aller plus loin sur la réduction, sur l’assaisonnement tout en restant sur des bases de sauce française… Mais encore une fois, ce qui importe c’est de manger sain. Il ne faut pas toujours être sur le dépaysement ou l’exotisme.

Vous évoquez souvent le fait qu’en tant que femme, le métier de chef n’a pas été évident à exercer au début. C’est toujours le cas aujourd’hui ?

Non. Les relations hommes femmes en cuisine ont beaucoup évolué il me semble. Les femmes aujourd’hui ont plus leur place en cuisine . Je dois dire qu’au début ce n’était pas facile, mais aujourd’hui, en tout cas chez moi, les relations sont plutôt bienveillantes. Il y a une forme de respect à mon endroit. Mais par exemple, les jeunes apprentis ne m’appellent pas chef ! mais Madame !. Mais il y a toujours le respect. Une relation polie, toujours gentille. Par exemple, je ne suis pas très grande, alors parfois je ne peux pas attraper les gamelles, ou réaliser des gestes de découpe trop physique. Les hommes dans ma cuisine sont prévenants, toutes générations confondues.

 

@Nouvelles Gastronomiques de Touraine

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Il y a une femme chef de cuisine aujourd’hui que vous admirez particulièrement ?

Oui Anne-Sophie Pic. Elle ose beaucoup de choses dans sa cuisine en ayant une approche différente et je pense qu’en tant que femme ça n’a pas été simple. Mais plus globalement, le fait d’avoir fait autre chose avant, et d’être venue en cuisine parce qu’on veut revenir vers des choses essentielles pour soi, cela aide à prendre du recul sur ce métier, d’envisager la manière dont on l’exerce. De part ma formation hotelière j’ai appris les codes du bien recevoir. Par exemple, je suis capable d’inventer un plat à partir d’une assiette qui me plait, dans sa forme. Dans l’histoire du plat, la couleur, la matière de l’assiette joue beaucoup.

Parlons de votre carte justement. Vos plats sont des histoires que vous aimez raconter et on le lit dans la dénomination des plats …

Tous mes plats ont une histoire, que mes clients perçoivent ou pas d’ailleurs. Quand je change la carte avec mon équipe, on part de ce qu’on a envie de manger en faisant appel aux souvenirs de chacun de ce qu’on mangeait chez nos mères, nos grands-mères, nos tantes… La carte fonctionne comme un menu. J’essaie d’emmener le client vers quelque chose de différent dès la dénomination du plat. Parfois, j’aimerais bien passer à une présentation plus contemporaine, mais je pense que c’est mon identité et puis cela me permet de garder une authenticité.

 

La canette croustillante au vin de Chine @ Nouvelles Gastronomiques de Touraine

La canette croustillante au vin de Chine @ Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Vous pouvez nous raconter ce plat par exemple : la canette croustillante au vin de Chine ?

Tout le monde était assez unanime pour le canard, un plat qui pouvait mijoter. En travaillant en cuisson basse température, on pouvait retrouver la même texture fondante en lui apportant une touche de modernité pour la carte d’été. J’avais envie de jouer sur deux textures, la viande fondante et un passage sous la salamandre pour trouver ce côté croustillant. On est parti de l’image du coq au vin, et on l’a fait voyager en choisissant un vin de Chine, un alcool de riz avec des saveurs différentes… Il est servi avec un Bao (pain vapeur, NDLR) qu’on aromatise avec des feuilles de Kefyr, un citron Thai. La base est donc celle d’un Coq au Vin mais avec une pointe de fantaisie.

 

 

Le Pot fantaisie de Perrette @ Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Le Pot fantaisie de Perrette @ Nouvelles Gastronomiques de Touraine

Et les desserts ? Quelle est l’histoire du Pot fantaisie de Perette par exemple ?

J’adore la publicité, elle m’influence beaucoup. La pub avec Perette, la crémière sur le marché avec un côté sexy a servi d’idée de base. On fait infuser une mousse de lait avec de la Badiane. Pour le côté gourmandise, on réalise un chocolat avec un caramel croquant à l’intérieur. Pour la pointe de fantaisie on avait pensé au Miot (soupe de fruits rouges cuite dans du vin, spécialité Tourangelle, NDLR) mais cela ne convenait pas pour la texture. Un de mes cuisiniers me raconte la recette du Ratafia de sa mère, qui est un peu semblable sauf que le vin rouge cuit dans un alcool de fruits. On a donc une texture plus sirupeuse. L’assemblage donne une recette revisité de Perrette et le Pot au Lait…

Par Dominique Postel
Crédits photos: Dominique Postel

La Boulaye
Lieu dit La Boulaye
37270 Athée-sur-Cher
02 47 50 29 21
www.laboulaye.fr

Photo de Une : Maryline et Stéphane Caron, propriétaires de La Boulaye à Athée-sur-Cher @Nouvelles Gastronomiques de Touraine