Selon la Fédération Française des Spiritueux, la France est le premier pays producteur de spiritueux de l’Union Européenne, avec plus de 800 marques et cinq milliards d’euros de vente en grande distribution en 2022. Une augmentation de 52% des ventes dans les cafés, hôtels et restaurants est constatée ainsi que des nouveaux modes de consommations. Le whisky résiste aux tendances de la mixologie, demeurant l’un des spiritueux favoris des Français. Il est le roi du salon « Whisky Live Paris » et des World Whisky Awards, qui les récompensent selon différents critères, tels que l’arôme, le goût, la complexité, l’équilibre et la longueur en bouche.
En cuisine, en pâtisserie, ou derrière le comptoir du bar, parmi les ingrédients d’un cocktail servi en apéritif, en digestif, ou en pairing, le whisky est un allié de caractère, rustique, aromatique et intemporel.
Si les meilleures ventes dans les restaurants demeurent l’Irish Coffee, élaboré à base de café, de whisky et de crème, la nouvelle génération de mixologues s’engagent dans des recettes 100 % veganes à l’instar de Margot Lecarpentier, propriétaire du bar « Combat» à Belleville.
En 2024, elle devient la cheffe mixologue des restaurants d’Alain Ducasse. Elle a pour mission de créer des recettes en accord avec la cuisine de chaque chef. « Au Meurice, par exemple, j’ai réalisé un cocktail à base de whisky fumé et de mezcal, un mélange de goût entre deux tourbés en accord avec une huitre au barbecue ». Pour elle, un bar a été installé dans la salle Dali et elle se rend à chaque table avec son chariot à Cocktails. « Parmi tous les spiritueux que je travaille, le whisky est l’un de mes préférés, car il a du caractère, et des marqueurs puissants, des arômes de pain brûlé, de céréales, et toastés ».
Un condiment, flambeur de créativité
Le whisky apporte une touche finale veloutée, crémeuse, avec des arômes fumés qui se marient avec toutes sortes de viandes et de volailles grillées, rôties, des œufs, des tourtes et bien d’autres plats encore. Versé au goutte à goutte pendant la cuisson, rehaussant une marinade, dans lequel il agit comme un attendrisseur, mais aussi comme un composant d’un jus et d’une sauce ou pour finaliser un flambage.
Dans la préparation de recettes, le whisky peut s’associer à des saveurs apparentées ou apporter un goût fumé et tourbé. C’est le parti pris de Julien Binz, chef étoilé Michelin à Ammerschwihr, qui a cuisiné une poitrine de pigeon, cuite en basse température nichée dans une mousseline de volaille truffée, légèrement marinée dans un whisky tourbé. Entre le pigeon et la farce, quelques noisettes torréfiées pour apporter un côté croquant. Après la cuisson à basse température, la pièce est passée au chalumeau pour donner un goût toasté, ainsi qu’une élégance au plat. La sauce, composée principalement de jus de pigeon, est déglacée au whisky tourbé, l’enrichissant de sa saveur fumée caractéristique.
Ce goût particulier vient de la tourbe, une matière organique, utilisée comme combustible pendant le séchage des grains d’orges constituant le malt. En brûlant, la tourbe libère des phénols, composés chimiques aromatiques. « J’ai jugé plus intéressant gustativement d’incorporer le tourbé dans la sauce, plutôt que de fumer la viande, en déglaçant le fond de sauce avec un whisky écossais. Je fais flamber l’ensemble pour dégager les vapeurs d’alcool, et déployer les dominantes aromatiques, puisque les saveurs se concentrent dans la réduction. A la fin, je rajoute dans la sauce, 1 cl de whisky pour la touche finale. Parallèlement, j’ai fait mariner la poitrine de pigeon dans ce même whisky. La marinade doit être instantanée, (5 à 10 mn) sinon le whisky pénètre les chairs de la viande et s’impose. De même, il faut déterminer le juste équilibre de quantité de whisky dans le fond de la sauce. Le surdosage disqualifie l’intention. Au lieu, d’avoir les aromatiques tourbées, on se dirige vers une amertume, en passant du tourbé au «goudronné » au nez, puis en bouche », conclut le chef. En cuisine, les spiritueux sont souvent flambés, pour évaporer la teneur en alcool, tandis qu’en pâtisserie, elle apporte une digestibilité.
Un exhausteur de goût
En pâtisserie, le whisky est un allié des préparations sucrées, merveilleux avec le chocolat, dans des gâteaux, ganaches, crèmes, et truffes. Il réchauffe les recettes avec des notes de vanille, caramel, mielleuses, boostant des recettes et rehaussant les saveurs.
Angelo Musa, champion du monde en pâtisserie 2003, travaille volontiers le whisky. « En règle générale, l’alcool est un exhausteur de goût, il nuance, balance et apporte du caractère à la préparation », souligne le chef pâtissier du Plaza Athénée à Paris. « En 2023, après 35 ans de métier », relève le Meilleur Ouvrier de France pâtissier 2007, « j’ai réalisé pour la première fois une galette des rois à la frangipane, en combinant deux whiskies ; un classique et un whisky tourbé avec un parfum fumé. Nous avons utilisé de l’orge dans le praliné et sur le décor. Le whisky apporte un coté rustique-chic. L’expérience fut très réussie, la pâte était bien levée, façon kouign-amann, surprenant avec du caractère ». « En 2024, j’ai été sollicité par la chocolaterie Opéra pour faire des pairing avec différents whiskies. Il y a de nombreuses intensités et grands crus de chocolat. Il faut sélectionner les typicités en harmonie, trouver un juste équilibre entre le gras, le cacao, les notes aromatiques et la teneur en alcool », explique-t-il, citant les babas au whisky, les gaufres nappées de sauce caramel au chocolat et au whisky, un crémeux au malt de whisky infusé dans une verrine et des truffes au whisky, qu’il a réalisées en Masterclass. « Le whisky est très complexe et pointu à travailler, il apporte une connotation chic et haut de gamme, une typicité identifiable avec du caractère, mais il demande peut-être plus d’exigence et de travail dans la recherche d’équilibre et le dosage ».
Une évolution dans la consommation
Dans les hôtels, la place du bar est centrale et les spiritueux s’alignent comme des stars, mis en scène par des éclairages stylisés. Le chef-barman incarne la personnalité du lieu, catalyseur de l’ambiance, générateur de chiffres d’affaires, pour peu qu’il séduise par ses aptitudes créatrices en mixologie et sa relation clientèle.
« Le bar de l’hôtel devient un lieu de destination » mentionne Maxime Wucher, le directeur général du Parc à Obernai en Alsace. « Notre bar est au cœur de notre établissement car c’est le passage incontournable de la salle de restaurant vers les chambres. Nous avons également un fumoir, riche d’une belle cave à cigares. Nous y avons inscrit 36 références de whiskies ; 2 d’Alsace, 2 du Japon, 15 des USA, 4 d’Irlande et 11 d’Ecosse, qui vont du Single Malt aux whiskies les plus prestigieux. Nous avons également mis en place une offre de dégustation baptisée « LE CONNAISSEUR WHISKY » qui décline 3 whiskies dans des petits verres alsaciens appelés des « Rutscherle », permettant de voyager en Irlande, Ecosse et en Alsace avec un single malt, un bourbon, et un tourbé. Nous avons également une belle carte à cocktails. Il faut répondre à la tendance et se sont nos meilleures ventes. Notre cocktail d’accueil du Yonaguni Spa, est le Yuzu’Splash, élaboré avec un whisky alsacien, auquel on rajoute du sirop de yuzu et de l’eau pétillante ». Sur la carte des cocktails, s’affichent le « MALT TAI », avec du Cointreau et du sirop banane/pécan, encore le WONKA HIGHLAND avec de la crème de cacao et d’expresso. « Mais les aptitudes créatives du barman font le succès des ventes et de la fréquentation. La personnalisation, le cocktail sur-mesure et exclusif sont très recherchés», constate Maxime Wucher.
Benoit Marin, directeur du Bar, de la Galerie et de la Terrasse de l’Hôtel Plaza Athénée à Paris, observe une évolution dans la consommation du whisky. « Nous avons une centaine de références », souligne-t-il. «Mais, nous relevons une perte de vitesse, face à la montée du Gin et surtout de la Tequila, deux alcools blancs, prisés en mixologie. Cependant, le whisky tire son épingle du jeu avec des raretés, des produits de luxe, de niche, onéreux et d’exception, comme ce Macallan 25 ans d’âge, vendu 10 000€ au bar ou 750€ la dose de 5 cl, l’Ibiki 30 ans d’âge tarifé à 680€ la dose de 5 cl, le Yamazaki affiché à 180€ la dose de 5 cl ou encore la Tequila Classée Azoul Ultra Extra anico proposée à 12 600€ le flacon et 900€ le verre ». Fort de son expérience Benoit Marin, constate également l’impact indéniable des célébrités-influenceurs sur les tendances et les ventes. « S’ils se prennent en photo avec tel ou tel cocktail ou spiritueux, il y a une explosion des ventes. C’est une réalité », lâche-t-il. De Brad Pitt, à Bob Dylan, d’Emma Watson à Joey Starr, en passant par Rod Stewart, qui a lancé Wolfie’s (relire Crafter n°21), ils sont nombreux à traduire leurs racines, leurs valeurs, et leurs préférences gustatives en bouteille.
La saisonnalité
Il y a des saisons pour les spiritueux et le whisky est chaleureux en hiver. « Nous proposons au bar du Plaza Athénée, le Whistle-flip composé de Whistle Pig 10 ans infusé aux noix de Pécan, du lait écrémé, de la crème fraîche, du sirop d’érable, un jaune d’œuf et de la mousse Suzette. Cet « amoureux du bar » a fait l’essentiel de sa carrière dans ce palace. En 14 ans, il a gravi tous les échelons pour devenir le directeur d’une équipe de 40 personnes, dont 12 barmans. Sa préférence ? Il s’imagine volontiers écouter les flammes crépiter, dégustant un excellent whisky fumé, avec des arômes de feu de cheminée portés au nez.
Par Sandrine Kauffer
Un reportage paru dans le magazine The Crafter.