La sauce brune ? Une évidence, mais est-ce une espagnole ?

Dans le Guide culinaire, quand on cherche la « sauce brune », on ne la trouve qu’au détour d’une recette : « Égoutter, dresser et verser au milieu une sauce brune, soit : Demiglace, Champignons, Fines Herbes, ou toute autre du même genre ». Ce n’est pas clair ! Cherchons dans les livres de cuisine anciens pour voir si l’on trouve mieux.

A la même époque, Auguste Colombié est plus explicite, mais guère plus disert : « Si la sauce est brune, faites roussir un peu plus la farine, ajoutez un soupçon de sauce tomate, ne faites pas réduire le jus, mais faites réduire la sauce à la consistance voulue. »

Que dirait l’extraordinaire Dictionnaire universel de cuisine pratique, de Joseph Favre, également contemporain ? Il donne d’abord une recette de « sauce brune à la Portugaise », qu’il classe d’ailleurs plutôt à « Portugaise » qu’à « Brune » : il s’agit de partie de sauce à la demi-glace ou d’un roux faire un roux, de mouiller avec le jus de la pièce que la sauce brune accompagne, d’ajouter piments, zestes et jus d’orange, de vin de Madère et de filtrer à l’étamine. Etrange manière d’utiliser indistinctement une sauce demi-glace ou un roux !

Continuons donc, avec Urbain Dubois qui fut élève du grand Carême, et put ainsi assister à l’essor des sauces françaises. C’est dans son livre que l’on trouve la solution de notre problème. Il écrit d’abord :

« Pour improviser la sauce brune (espagnole). — Dans les cuisines, où on n’a pas toujours la facilité de préparer des sauces à l’avance, voici une méthode qui peut très-utilement être adoptée. Il s’agit d’avoir toujours une terrine de roux, suffisamment coloré; ce roux, quand il est froid, peut être conservé longtemps. sans aucun danger. Quand on veut préparer un peu de sauce brune, il suffit donc d’en couper un morceau; qu’on jette dans la casserole contenant le fonds ou le jus avec lequel on veut préparer la sauce : ce liquide doit être bouillant ; on le remue avec une cuiller, jusqu’à ce que le roux soit bien dissous; puis on le retire sur le côté du l’eu, afin de cuire la sauce jusqu’à ce qu’elle soit bien liée et bien dépouillée, c’est-à-dire dégraissée et écumée; on la passe alors, pour l’employer, soit dans son état naturel, soit après l’avoir fait réduire. »

 

La Laiterie – © Marco Strullu

Il y aurait donc identité de la « sauce brune » et de la sauce espagnole ? Cela est confirmé ensuite, quand il écrit « La sauce brune porte en cuisine le nom d’espagnole, elle est, en fait, la base de toutes les sauces de nuance foncée ». Et il décrit ensuite une sauce brune facilement faite, se réservant d’expliquer ailleurs la recette d’une sauce plus élaborée.

Là on fait sauter du veau, de la volaille (« mais pas de boeuf »), oignons, carottes, racines de céleri. Quand il y a de la couleur, on mouille avec du vin blanc, on fait réduire à glace, et on ajoute du bouillon, des aromates, des parures de champignons frais, du cerfeuil, et des carcasses de volaille ou de gibier rôtis. On porte à frémissement, on écume, et quand les viandes sont cuites, on dégraisse et on passe tamis. C’est cela que l’on ajoute à un roux blond, avant d’ajouter bouquet garni, champignons et vin blanc; il faut cuire encore pendant trois quarts d’heure !

Serait-ce la fin de notre recherche ?

Non : je trouve encore la sauce brune chez François Massialot, pour lequel la sauce se fait avec un beurre roux, des herbes, des ciboules, sel, poivre, clous de girofle, noix muscade, câpres, vin, verjus, et farine frite. Et cela date de 1705 : la sauce brune est vraiment classique !

Hervé This