Après des études en école hôtelière, Emmanuelle Pasquier, l’une des trois sœurs Pasquier, propriétaires du château de Rochecotte à Saint Patrice depuis 1984, rejoint rapidement les cuisines due la vieille demeure. Le restaurant, une pure création à l’époque, débute son histoire avec le jeune chef , Thiery Marx, encore peu connu à l’époque, aux commandes de la nouvelle brigade. Emmanuelle Pasquier fait ses premières armes de 1986 à 1988 auprès de celui qui allait gagner l’année suivante sa première étoile au restaurant le Roc en Val à Montlouis sur Loire. Elle prend ensuite la direction des cuisines pour ne plus la quitter. Aujourd’hui elle dirige une brigade composée de 4 personnes dont un chef pâtissier Franck Joly, en poste depuis 30 ans. Rencontre avec une femme cheffe, humble et inspirée, qui, aux côtés de ses deux sœurs Isabelle et Christelle, perpétue la tradition et l’esprit de famille du château.
Même s’il n’était pas autant connu à l’époque il était déjà un très grand chef. Il m’a fait connaître le vrai visage de ce qui se passe dans les grandes cuisines : la tension, la perfection, le cœur psychologique des cuisines. En fait, cela correspondait bien à l’image que je m’en faisais.
Vous avez démarré votre carrière ici dans les cuisines du château et vous y êtes restée jusqu’à aujourd’hui. Quand vous reprenez la brigade en 1990 ? c’était beaucoup de pression ?
Mes parents ne voulaient pas reprendre un chef extérieur ? j’ai donc accepté ce poste même si je n’étais pas forcément prête à prendre aussi tôt les rênes d’une brigade. Pour moi je n’avais peut être pas assez d’expérience. On doute toujours quand on est cuisinier. On n’a jamais l’esprit tranquille : on se demande si ça va plaire, on ne connaît pas l’expérience gustative des gens, quels goûts ils ont. On mange beaucoup avec sa culture, son appartenance sociale sa personnalité… Les gens qui viennent ici représentent un panel très diversifié. Ils viennent avant tout pour le lieu, le château et aussi pour « sortir », vivre un instant raffiné. Mais il n’y avait pas forcément de pression.
Et aujourd’hui quel regard avez-vous sur votre parcours ?
De la satisfaction. Malgré tout j’aimerais faire plus de cuisine laboratoire, pouvoir être plus souvent dans un travail de recherche, avoir plus de temps pour trouver des nouvelles associations. J’aimerais par exemple voyager plus.
Fredy Girardet (chef à la retraite, Ex chef du restaurant de l’Hôtel de Ville à Crissier, repris par Benoit Violier, 3* décédé en février 2016, NDLR) c’est la référence Il a été mon modèle durant toute mon adolescence: la finesse d’exécution, sa cuisine est parfaitement juste, d’harmonie. C’est ce qui est le plus difficile à trouver. Parfois on tombe juste et parfois non.. Et peut être un chef récemment triple étoilé dans le Sud également Arnaud Donckele, pour la légèrete de sa cuisine.
Vous citez deux chefs étoilés. Quelle est votre rapport à ces distinctions ?
Personnellement je ne recherche pas ça, mais pour l’équipe, pour la brigade de Rochecotte oui. Ce serait une belle récompense pour ceux et celles qui travaillent avec moi. En revanche je ne me dis pas « ma cuisine vaudrait bien une étoile ». C’est une reconnaissance collective, une réalisation globale.
Non. L’autorité porte peut être un peu moins, elle est moins coercitive quand c’est une femme.Je regrette tout de même d’être la seule femme dans la brigade. Ce n’est pas un choix, mais il y a très peu de filles qui poursuivent en cuisine après 30 ans. Elles sont plus présentes en pâtisserie.
Dans votre cuisine, qu’est ce qui vous inspire ?
Au départ il y a la gourmandise, l’envie de faire plaisir. Quand on travaille des produits, les idées viennent en fonction de ce que vous avez devant vous. L’inspiration vient de multiples choses
C’est aussi un travail de réflexion
J’ai un style assez classique. J’aime assez réaliser des fonds de sauce, des cuissons longues, que je modernise ensuite. C’est toujours un peu le même principe en cuisine française. S’il y a un produit en revanche que j’aime travailler particulièrement c’est la Langoustine : pannée au curry et sésame avec un Achard de légumes. Mais nos clients n’aiment pas trop l’exotisme pur, on essaie donc de mettre le produit en avant avec des associations plus subtiles. Les légumes sont aussi très présents. C’est une note de fraîcheur, aromatique qui allège l’assiette, qui donne des sensations, à la base puissante de la viande ou du poisson. Ce n’est pas juste une question de santé . En fait je cuisine ce que j’ai envie de manger et de cuisiner. C’est un peu égoïste mais c’est ça aussi la cuisine !
Votre cuisine aujourd’hui a évolué, quel regard vous portez sur cette évolution ?
Elle est peut être plus inspirée, plus ouverte vers d’autres produits plus épurée et plus juste. En même temps j’ai aussi installé mon style évidemment. Meme si je regrette de ne pas voyager plus. La création ne peut pas être quelque chose qui fonctionne en circuit fermé.
Vous avez une autre passion que la cuisine ?
Oui la lecture. J’adore la littérature d’Europe Centrale, Joseph Roth, Stéfan Sweig,.. Les romanciers de l’entre- deux guerres. J’aime aussi l’histoire, redécouvrir ces sociétés et ces mondes disparus. On est toujours propulsé vers l’avant, savoir ce qui s’est passé avant, d’où l’on vient, c’est toujours intéressant. Et puis, sans lecture on ne peut pas vraiment connaître les autres… l’Autre est de toute manière passionnant.
Par Dominique Postel
Crédits photos : Dominique Postel ; DR