Que nomme-t-on une préparation « à l’Allemande » ? Le grand cuisinier français Marie Antoine Carême, cuisinier des empereurs,
« Quant à la sauce allemande, elle fut sans doute importée chez nous après quelque grande noce ; et nous conservons encore avec respect le nom de cette sauce blonde, que nous avons rendue aussi veloutée que parfaite.
Terminologie par Hervé This
Cela étant, qu’est-ce que cette allemande de Carême ? Pour les « grandes sauces », dont il fait dériver les « petites sauces », son texte de l’Art de la cuisine française au 19e siècle n’est pas facile à lire, parce qu’il mêle des considérations historiques, personnelles, artistiques, aux descriptions techniques. Mais voilà ce que j’arrive à « distiller » : il partait des coulis, qu’il obtenait en sautant dans du beurre de gros dés de maigre de jambon, du veau, des poules et du gibier, avec oignons et carottes ; le tout étant roussi, ils singeait, mouillait avec du grand bouillon, ajoutait un bouquet assaisonné et dégraissait avec soin ; puis, après avoir passé les sauces à l’étamine, il réduisait à glace, ajoutait du roux blond pour velouté, puis il émulsionnait du beurre, ajoutait il champignons et liait finalement aux jaunes d’oeufs. Carême observe que la cuisine alsacienne ajoute persil blanchi et citron, et que ce n’est pas la même chose que l’allemande de grande cuisine classique française.
Cela étant, Carême n’est, pas plus que les auteurs du Guide culinaire, le fin mot de la cuisine française, et il ne lui revient pas de nous dire ce qu’est vraiment qu’une préparation à l’Allemande. Avant lui, dans la Suite des Dons de Comus, publiée en 1742 par François Marin, on trouve la dénomination « à l’Allemande » pour des saucisses : la chair a été marinée dans du « vin du Rhin » avant d’être entonnée dans le boyau. Du vin du Rhin ? C’est bien du vin d’Alsace ! Et la dénomination « à l’Allemande » devrait être « à l’Alsacienne », car c’est dans ce pays, capté par Louis XIV, que l’on faisait un vin réputé depuis longtemps, que l’on cuisinait si bien, et que l’on cuisinait d’ailleurs au vin.
À vrai dire, ce n’est pas Marin, non plus, qui introduisit le premier la dénomination « à l’Allemande » : on la trouve vingt ans avant chez François Massialot, pour un « pâté à l’Allemande aux huîtres », pour des « brochets à la sauce d’Allemagne », pour un « cochon de lait à l’Allemande », des « œufs à l’Allemande ».
Par exemple, pour le cochon de lait, on le fait sauter avec du lard, puis cuire avec bouillon, oignon, clous de girofle, fines herbes, sel, poivre, muscade, puis on ajoute du vin blanc, des huîtres et de la farine, du citron, des câpres et des olives. Là, il y a du vin, mais pour les œufs à l’Allemande, on se limite à casser des œufs comme au miroir, mais on ajoute du bouillon, des jaunes battus avec du lait, et du fromage râpé
Dans un « cimier de cerf à l’Allemande », il y a d’abord du quasi, puisque c’est cela que désigne le cimier ; mais, surtout, un mélange de cannelle, pruneaux, sucre et vin vient accompagner la viande. Là, c’est le salé sucré, tout comme la présence de la cannelle, qui fondent la dénomination « à l’Allemande ». Idem pour un beignet à l’Allemande : on y trouve de la cannelle.
Mais pour le « filet à l’Allemande » ? La recette est la suivante : « Prenez un bon filet de bœuf, ôtez en toute la peau et les nerfs ; piquez de gros lardons, assaisonnées de fines herbes hachées ; mettez cuire dans une braise bien nourrie et mettez y tout ce que vous avez ôté du filet pour mieux le nourrir ; étant cuit bien étouffé et à petit feu, on doit y trouver sans presque mouiller une bonne cuillerée du jus qu’il aura rendu et qui sera de belle couleur ; mettes dans une casserole un morceau de beurre comme pour une sauce blanche et y ajoutez de la crème douce et une poignée de câpres et une partie du jus. » Dans cette recette, c’est un braisage avec un jus réduit, émulsionné et additionné de câpres, puis mouillé : comme le fera plus tard Carême, mais sans la liaison aux jaunes d’oeufs. Et c’est bien la base de sauces alsaciennes encore modernes : de la réduction de bouillon, de la crème, du beurre, et encore une réduction que l’on ajuste avec un fond.
Par Hervé This