Terminologie “Rancissement ” par Hervé This

Jadis, les matières grasses étaient stockées à l’air libre, sans froid, et l’on devait souvent faire bouillir le lard pour lui enlever son goût de rance. On a heureusement oublié ce goût, d’autant que nous avons aujourd’hui la possibilité de n’acheter que de petites quantités, qui ne restent pas longtemps dans les cuisines.
Le rancissement ? Il s’agit d’une réaction chimique terrible, parce qu’elle est « auto-catalytique », et qu’elle s’accompagne de la production de « radicaux libres ».

Tout d’abord, les chimistes savent que, contrairement à ce que disent les baratins publicitaires ou les articles rédigés par certains journalistes insuffisamment formés aux questions scientifiques, il n’y a pas d’« acides gras » dans les matières grasses (animales, ou huiles), mais de composés nommés triglycérides : une bouteille d’huile, par exemple, c’est comme un gros entassements de minuscules peignes à trois dents souples. Chaque « peigne » est un trigléride, dont le manche est un « résidu de glycérol » et dont les dents sont des « résidus d’acides gras ». Si l’on détachait chimiquement ces résidus d’acides gras d’une façon appropriée, on formerait des acides gras, comme quand on fabrique des savons en cuisant de la graisse avec une base telle la potasse des cendres de bois.


Mais restons en cuisine, en disant des choses justes de ce qui s’y passe. Pour les chimistes, le rancissement est plus précisément l’auto-oxydation, et l’auto-catalyse que j’ai évoquée précédemment correspond au fait que la lumière réagit avec les triglycérides, provoquant l’apparition de radicaux libres, groupes d’atomes très réactifs qui réagissent avec l’oxygène de l’air… en produisant de nouveaux radicaux libres, qui attaquent d’autres triglycérides régénérant des radicaux libres. Une fois déclenchée, la spirale infernale s’accélère, et le goût de rance est rapidement produit.

Le remède ? L’explication précédente montre qu’il faut d’abord éviter la lumière, dont on oublie souvent qu’elle a des effets redoutables : pensons aux tissus qui perdent leurs couleurs au soleil ! Mais ici, cela vaut la peine que je redise la découverte que nous avons faite dans mon laboratoire : le même bouillon de carottes est marron quand il est cuit avec de la lumière, mais orange quand il est cuit dans l’obscurité !
D’autre part, il vaut mieux éviter la présence d’oxygène, dont on ne sait pas assez que c’est une molécule réactive : pensons au fer qui rouille.

Enfin il est bon de savoir que les réactions chimiques sont accélérées par la chaleur : chaque augmentation de dix degrés double la vitesse de réaction.

La conclusion est claire : comme le disent justement les indications écrites si petit qu’elles sont illisibles sur les bouteilles d’huile, les matières grasses, lard, beurre, huiles, etc. doivent être au frais, à l’obscurité, et le moins possible exposées à l’oxygène de l’air.

Par Hervé This