Terminologie : “Les bons termes de cuisine” par Hervé This

Aujourd’hui, une innovation : au lieu de discuter d’un mot en particulier, je propose de discuter de… terminologie en général. Pourquoi ? Parce que je viens de relire Le Livre de Cuisine de Jules Gouffé, et que j’ai trouvé tout ce qui suit en italiques, et que je commente ensuite

TERMES DE CUISINE. 

Je répéterai ici ce que j’ai déjà dit dans la première partie ; il n’y a pas ou plutôt il ne devrait pas y avoir de termes de cuisine ; la cuisine doit pouvoir s’expliquer avec le langage de tous.

Là, je ne suis pas d’accord, parce que, précisément, je crois que si la cuisine se perfectionne techniquement, il y a la nécessité absolue, comme pour tous les champs techniques, que des termes nouveaux désignent des objets ou des opérations spécifiques.

Un exemple, en marine : oui, une corde est une corde, mais si l’on veut spécifier l’écoute de grand voile, plutôt que la drisse, il faut deux mots distincts. En termes d’équitation, le troussequin désigne autre chose que le pommeau, et le mot « aubert » désigne une robe de cheval particulière. Si la cuisine professionnelle devient plus « savante », « artistique », « technique » que la cuisine domestique, alors des termes particuliers s’imposent.


Il y a cependant des opérations spéciales qu’il serait presque impossible d’indiquer dans la langue usuelle, à moins de recourir à de longues circonlocutions.

Et voilà la démonstration de ce que je disais. En réalité, alors que j’apprécie beaucoup Jules Gouffé, qu’Auguste Escoffier a largement repris sans le citer, il a voulu faire œuvre de vulgarisation, ce qui n’est pas condamnable, mais ce qui l’a conduit à dire sans doute le contraire de ce qu’il pensait. Ah, la communication…

C’est pour ces opérations seulement que j’ai maintenu, pour plus de brièveté et aussi de clarté, un certain nombre de termes du métier, dont on trouvera l’explication ci-dessous. La liste n’en est pas longue, comme on le voit; néanmoins je la voudrais encore plus courte; je voudrais même qu’elle n’existât plus du tout et devînt complétement inutile. J’appelle de tous mes voeux les plus sincères le jour où les termes de cuisine sans exception seront inscrits, non plus dans le dictionnaire de la cuisine, mais dans le dictionnaire de tout le monde.


Bon, je n’insiste pas : si je suis évidemment de ceux qui veulent que l’activité culinaire soit le plus largement développée, il n’en reste pas moins que je suis aussi de ceux qui savent faire la différence entre un grand artiste et un amateur. Et cela ne passe pas par l’usage précis de la poche à douilles, par exemple, parce que je maintiens que l’art culinaire doit d’abord se préoccuper du « bon » (d’où mon livre, où je discute la question de l’esthétique culinaire, c’est-à-dire du bon à manger, donc du bon, sous le titre « La cuisine, c’est de l’amour, de l’art, de la technique » (Editions Odile Jacob)

Aspiquer.
On entend par aspiquer mettre jus de citron ou vinaigre réduit dans gelée, sauce et jus.
Connaissiez-vous ce terme ?


"Les bons termes de cuisine" par Hervé This
Chemiser.
C’est enduire un moule d’entrée ou d’entremets pour former la couche de farce ou de gelée qui enveloppe le corps de certaines entrées et de certains entremets. On applique aussi l’opération du chemisage à des pièces glacées, telles que les bombes que l’on recouvre d’une écorce différente comme goût du corps principal de la glace.
Bon, là, on savait.

Clouter. 
C’est placer sur poulardes, poulets, noix de veau, ris de veau, des clous que l’on forme avec des truffes et de la langue à l’écarlate. Cette opération se fait avec une brochette de bois pointue de 8 millimètres que l’on enfonce dans le morceau de viande pour faire le trou destiné à recevoir les clous de langue et de truffe.
Encore clairement la démonstration que le vocabulaire technique de la cuisine n’entrera pas dans le langage courant : il faut beaucoup de temps pour de telles opérations, et je me souviens avoir lardé une viande, à l’aide de ces aiguilles creuses, pour faire des tranches de viande où apparaissaient le lard, bien réparti. Quel travail !

Contiser.
On entend par contiser, pratiquer des incisions en biais dans les filets et filets mignons, pour introduire des lames de truffes et de langue à l’écarlate. De la truffe tous les jours ? Pour ce qui me concerne, je n’ai pas les moyens… de sorte que j’utilise un produit aromatisant au goût de truffe (merveilleux).

Croûtonner. 
C’est disposer autour d’une entrée froide des bordures de morceaux de gelée taillés en losanges, en équerres, en carrés, etc., qui reçoivent pour ces sortes de garnitures le nom de croûtons.
D’accord, là, cela pourrait devenir plus courant… mais je pressens la confusion entre ces croûtons et ceux de pain.

Dresser en sens inverse.
On désigne par cette expression certaines couronnes ou rosaces que l’on forme pour les chaud-froids, les entrées de filet, les aspics, etc., en les disposant en sens inverse.
La définition n’est pas claire !

Hatelets.
Brochette d’argent que l’on garnit de racines, truffes, crêtes de coq, écrevisses, crevettes, etc., pour orner les grosses pièces de cuisine. On peut varier les hatelets à l’infini. Nous donnons trois espèces de hatelets de racines (voir pl. X).
Les hâtelets furent largement utilisés par Marie-Antoine Carême, avec qui Jules Gouffé s’est formé. Une époque !

Sangler.
Le mot sangler désigne une des principales opérations du glacier qui consiste à mettre dans le seau à glacer un morceau de glace de 8 centimètres de hauteur. On couvre ce morceau de glace de 2 fortes poignées de salpêtre. On pose dessus la sorbetière avec son couvercle ; on garnit le tout avec de la glace bien pilée, mêlée de salpêtre. On tasse la glace de manière que la sorbétière se trouve bien serrée par le salpêtre et la glace qui l’entourent, et se trouve ainsi sanglée.
Un mot qui ira au musée, maintenant que nous avons de l’azote liquide ou des sorbetières !

Travailler.
On entend par travailler remuer pendant un certain temps les sauces ou les pâtes avec la cuillère, pour les rendre lisses. On dit aussi travailler des glaces, c’est-à-dire détacher avec la boulette les parties qui se congèlent les premières le long de la sorbétière et que l’on ramène dans l’ensemble de la glace, pour la faire prendre également.

Bon, d’accord, celui-ci doit s’imposer dans le langage courant : travaillons, prenons de la peine, c’est le fond qui manque le moins.

Par Hervé This