Terminologie : Essences ? Fumets ? par Hervé This

Les essences ? Un traité de charcuterie en dit : « terme utilisé en cuisine et en charcuterie culinaire pour désigner un fumet de volaille, gibier, poisson, réduit par ébullition jusqu’à l’obtention d’une consistance sirupeuse ». Pourquoi pas, mais alors quelle serait la différence entre un fumet et une essence ?

Repartons (toujours) de l’étymologie. Le mot vient du latin esse, qui signfie «être ». L’essence, c’est le fond de l’être, ce principe qui fait que la chose est cette chose-là et pas une autre. C’est donc par extension que les alchimistes ont nommé « essence » des produits qu’ils extrayaient de certaines substances, végétales, minérales ou animales. L’essence était alors la substance la plus pure extraite de certains corps, le plus souvent par distillation. Le mot était-il bien choisi ? Ce n’est pas certain, car la distillation des olives, si elle permet effectivement de récupérer une « huile essentielle » (on retrouve le mot « essence ») fait oublier que le principe principal des olives, c’est… l’huile d’olive ! Et puis, le terme de distillation est trop vague, et les chimistes en distinguent plusieurs sortes : distillation, entraînement à la vapeur d’eau, rectification… Chaque opération produit une matière particulière, et laquelle serait plus essentielle ?

Autrement dit, définir l’essence comme un « liquide volatil, très odorant, extrait des végétaux, le plus souvent par distillation » serait bien trop imprécis. Quant à définir les essences comme les produits obtenus par distillation, par réduction, par macération ou infusion, ce serait encore bien trop vague.

En parfumerie, le mot « essence » est synonyme d’huiles essentielles : on nomme ainsi, ou parfois essence végétale, le liquide concentré et hydrophobe, aromatique et volatil extrait d’une plante. Il est obtenu soit par distillation, soit par extraction aux solvants (eau ou alcool, par exemple) ou bien par expression (pensons à l’huile d’olive).


Terminologie : Essences ? Fumets ? par Hervé This
Et en cuisine ? Observons que des essences apparaissent déjà chez Massialot (Le Cuisinier royal et bourgeois, 1693) ou chez Vincent La Chapelle (Le Cuisinier moderne). On préparait par exemple des essences de jambon. Marie-Antoine Carême (Traité des essences) en donne la recette : “Après avoir émincé deux maniveaux [500 grammes] de champignons, vous les mettez dans une casserole avec deux grandes cuillerées de consommé, le jus d’un citron, une pointe de sel, de poivre fin, de muscade, et un peu de beurre, faites mijoter et réduire à petit feu ; ensuite vous ajoutez une grande cuillerée de blond de veau et une idem d’essence de jambon ; après quelques bouillons, vous passez l’essence au tamis de soie”
Pour le Guide culinaire (qui n’est pas fiable, du point de vue terminologique), une essence est un “bouillon” qui a été réduit. Le Guide culinaire cite des essences de champignon, céleri, morilles, truffes. Il cite également une essence de poisson, qui n’est autre qu’un fumet de poisson.
Pour le Larousse gastronomique dirigé par Prosper Montagné (1938), les essences ne sont « autre chose que la cuisson des champignons fortement réduite. S’emploie pour aromatiser les sauces. »

Et « fumet » ? Là, c’est plus claire : préparation liquide destinée à corser et à parfumer les fonds de cuisson, les sauces, les farces, obtenue en faisant bouillir des substances nutritives et aromatiques ». C’est bien plus large, donc.

Par Hervé This