Terminologie : “Beurre de Montpellier” par Hervé This

Le Guide culinaire, livre que je n’aime pas parce qu’il a propagé de trop nombreuses erreurs, est encore pris en défaut, à propos du beurre de Montpellier !

Voici ce qu’il donne, comme recette (à ne pas suivre, donc) : « Blanchir vivement, à l’eau bouillante et en poêlon : 50 grammes de feuilles de cresson ; feuilles de persil, cerfeuil, ciboulettes, estragon, échalotes hachées (20 gr. de chaque) ; 6 feuilles d’épinards. Égoutter, rafraîchir et piler avec : 2 cornichons moyens, 1 petite cuillerée de câpres pressées, une pointe d’ail (3 à 4 grammes), les filets de 3 anchois. Ajouter 750 grammes de beurre, puis : 3 jaunes d’oeufs cuits, 2 jaunes crus et, finalement, 2 décilitres d’huile versée en petits filets. Passer au tamis fin ou à l’étamine ; lisser, relever d’une pointe de cayenne et régler l’assaisonnement en sel. »

Comparons maintenant avec ce qu’en dit Marie Antoine Carême :

« Lavez bien à l’eau fraîche une forte poignée de cerfeuil, une vingtaine de branches d’estragon, et le même volume de pimprenelle, puis une pincée de ciboulettes. Cette verdure étant égouttée, vous la faites blanchir dans de l’eau bouillante avec du sel, afin de la conserver bien verte, vous la mettez dans un grand poêlon d’office, et, après cinq ou six minutes d’ébullition, vous ôtez la ravigote avec l’écumoire, et la mettez refroidir dans de l’eau fraîche. Dans l’eau qu’elle a blanchie, vous mettez durcir huit œufs ; puis vous pressez fortement la ravigote, afin d’en extraire le liquide. Vous la pilez parfaitement ; vous y joignez une vingtaine de beaux anchois épluchés et bien lavés, deux cuillerées à bouche de câpres fines, six cornichons, les jaunes d’œufs durs et une petite gousse d’ail. Pilez ce mélange dix bonnes minutes ; mêlez -y huit onces de beurre fin, une pincée de gros poivre, du sel fin et un peu de muscade râpée ; le tout bien broyé. Vous y amalgamez un verre plein de bonne huile d’Aix et le quart de vinaigre à l’estragon ; ce qui doit vous donner un beurre velouté, moelleux et d’un goût exquis. Mais pour le rendre plus appétissant encore, vous y mêlez un peu d’essence de vert d’épinards (passé au tamis de soie), afin de le colorer d’un beau vert pistache. On doit avoir la précaution d’y mêler ce vert en petite quantité à la fois, afin que le beurre soit d’un vert pâle. Vous goûtez si l’assaisonnement se trouve de haut goût : alors vous le passez par l’étamine fine, ou par un tamis de crin ordinaire, en le foulant avec la cuillère de bois : après cela vous le mettez dans une petite terrine sur la glace pour le raffermir, et vous vous en servez de suite. »

On le voit, la recette de Carême est gustativement bien plus intéressante : pas de cresson, pas d’échalote, de la pimprenelle, pas d’épinard mais du vert d’épinard, de la muscade, du vinaigre, de l’huile d’olive et non de l’huile sans intérêt.

On serait tenté de dire que les différences sont minimes ? Tout tient dans les différences, parce que c’est là la question du goût. D’ailleurs, Carête le dit lui-même, insistant : « L’assaisonnement de ce beurre délicieux réclame des connaissances que la pratique seule peut donner ; car il faut avoir le goût exquis pour le rendre dans sa perfection, afin qu’aucun des assaisonnements qui le composent ne se trouve dominant. Cependant il est facile d’adoucir l’excès du vinaigre en ajoutant un peu d’huile, de même la fadeur de l’huile, en y mêlant du vinaigre et du sel ».

N’hésitons donc pas : faisons de vrais bon beurres de Montpellier !

Par Hervé This