Séminaire Les liaisons à l’œuf dur par Hervé This

Le 17 décembre 2018, au Lycée Guillaume Tirel, à Paris, s’est tenu le séminaire de gastronomie moléculaire. Celui-ci a examiné deux questions : les liaisons à l’oeuf dur et la comparaison des solutions d’acide citrique et de jus de citron.

Peut-on lier à l’oeuf dur ?

C’est une vieille histoire, puisque l’on trouve déjà, en 1742, une « sauce au Petit Maître », dans La suite des dons de Comus (t1, p. 78) :
« Faites infuser deux gousses d’ail dans une chopine de quint-essence, ou consommé, avec une poignée de cerfeuil en branche. Passez à l’étamine. Pilez dans le mortier deux jaunes d’oeufs durs, avec quelques coeurs de laitue blanchis, et même presque cuits, hachés auparavant. Mettez le tout dans une casserole avec deux pains de beurre, deux tranches de citron, un peu de poivre concassé. Tournez le tout sur le feu ».

D’autre part, on trouve des « sauces tartares », qui sont comme des mayonnaises, mais au jaune d’oeuf dur. Et sans moutarde, bien sûr, sans quoi elles seraient plus proches des rémoulades ! D’ailleurs, certains ont dit que ces sauces liées à l’oeuf dur se décomposeraient rapidement, « l’oeuf cuit n’ayant pas la résistance du jaune d’oeuf cru »… mais nous n’avons pas observé cette décomposition.


Pour nos expérimentations, nous avons eu besoin d’oeufs durs, que nous avons donc préparés… en faisant du militantisme : nous avons commencé par bien dire qu’un œuf dur se cuit 10 minutes dans l’eau bouillante, car pour des temps plus longs, le blanc devient caoutchouteux, le jaune devient sableux, et un cerne vert accompagné d’une odeur souffrée se dépose à la surface du jaune. C’est pour prendre le contrepied d’un œuf aussi médiocre que j’ai introduit les « œufs parfaits », aujourd’hui très à la mode (à noter que le nom a été remplacé par « œuf à xx °C », pour distinguer des œufs à 62 degrés, à 63 degrés, à 64 degrés, etc.).

Et pour insister un peu sur la mauvaise pratique qui consiste à laisser les œufs trop cuire : le cerne vert des œufs trop cuits résulte de la dégradation des protéines, lors des cuissons excessives, qui s’accompagnent de la libération du gaz nommé hydrogène sulfuré, un gaz toxique (mortel), à l’odeur d’oeuf quand il est en petite concentration, d’oeuf pourri quand il est plus concentré ; à plus forte concentration encore, on ne le sent plus, ce qui le rend particulièrement dangereux. On invite donc tous les bons professionnels à militer contre les œufs durs à cerne vert, notamment dans les sandwicheries.

Ayant faits nos œufs durs, nous avons testé trois cas.
1. Nous avons mélangé 2 cuillerées d’eau et 1 jaune dur, puis nous avons ajouté de l’huile goutte à goutte en fouettant, comme pour une mayonnaise : une émulsion se fait bien, comme on le voit sur l’image.


Séminaire Les liaisons à l’œuf dur par Hervé This
Cette sauce (à l’exception du fait qu’on a utilisé de l’eau pure et non du vinaigre) est une « sauce tartare ».
A quoi bon faire la sauce tartare ? On observe que le jaune d’oeuf dur a un goût différent du jaune cru, et que la sauce tartare est donc différente de la sauce mayonnaise.

2. Puis nous avons essayé de reproduire une sauce hollandaise, mais à l’oeuf dur : dans une casserole, nous avons chauffé, en fouettant, de l’eau et du jaune d’oeuf dur, puis nous avons ajouté de l’huile (on n’avait pas de beurre) en fouettant, et nous avons obtenu une sauce chaude émulsionnée qui s’apparente à la sauce hollandaise.

3. Enfin, nous avons tenté la réalisation d’une émulsion froide à partir de blanc d’oeuf dur : nous avons écrasé un blanc d’oeuf dur dans deux cuillerées d’eau, puis nous avons ajouté de l’huile en fouettant. L’émulsion s’est bien faite, même si l’on a conservé des particules, dues au fait que nous ne disposions pas d’un mortier et pilon pour bien mêler le blanc d’oeuf à l’eau (le travail a été fait au fouet).


Séminaire Les liaisons à l’œuf dur par Hervé This
Tout ce travail étant fait, nous avons voulu faire une autre expérience, suite à des discussions qui avaient eu lieu lors du séminaire de novembre : pourrait-on reconnaître en aveugle du jus de citron et de l’acide citrique. La réponse est oui, finalement, mais avec une différence vraiment faible, qui ne se retrouvera sans doute pas dans des sauces ou d’autres préparations culinaires. Et, d’autre part, on fait bien la différence gustative entre de l’acide citrique et de l’acide tartrique.


Séminaire Les liaisons à l’œuf dur par Hervé This
Tout cela a été fait alors que de nombreux élèves ou étudiants étaient présents. Cela a été l’occasion :

1. de rappeler qu’il y des différences entre cuisine moléculaire (de la cuisine du passé, puisqu’elle a été proposée dès 1980), gastronomie moléculaire (une science qui explore la cuisine, se développe dans des laboratoires du monde entier), et cuisine note à note (de la « cuisine de synthèse » : le futur).
On rappelle les définitions :
– la gastronomie moléculaire est la discipline scientifique qui étudie les phénomènes qui surviennent lors des préparations culinaires
– la cuisine moléculaire est de la cuisine qui se fait à l’aide d’ustensiles modernes
– la cuisine note à note est une « cuisine de synthèse », dont les ingrédients ne sont plus les fruits, légumes, poissons ou viandes, mais des composés purs.

2. De proposer à chacun de participer au Septième Concours International de Cuisine Note à Note.
Pour cette nouvelle édition du concours, le thème est au choix :
– les cocktails
– les « diracs » : pour ces reproductions de viande, les candidats inscrits, qui auront envoyé un projet de recette préliminaire, recevront des échantillons de protéines.
N’hésitez pas à vous inscrire sur [icmg@agroparistech.fr]mail: icmg@agroparistech.fr et à envoyer vos recettes sans tarder (nombreux prix à gagner)


3. Enfin, nous avons relancé un appel à contribution : pour un Glossaire des métiers du goût en constitution, nous avons besoin de vos contributions.
Le glossaire est accessible sur Agroparistech-Glossaire des métiers du goût en chantier pour toujours merci de contribuer.
Si vous voyez une entrée ou une définition qui manquent, notamment dans votre champ disciplinaire (cuisinier, pâtissier, charcutier, poissonnier, boucher, vigneron, maître d’hôtel…), ou si vous voyez une erreur n’hésitez pas à le signaler à icmg@agroparistech.fr.


Hervé This rappelle que chacun peut venir, ou recevoir les comptes rendus en les demandant à icmg@agroparistech.fr

Et c’est ainsi que l’Art culinaire est encore plus beau, non ?

Par Hervé This