Séminaire : L’épluchage des navets par Hervé This

On enseigne que les navets ne doivent pas être épluchés à l’économe, mais au couteau, sans quoi cela donnerait de l’amertume.

On l’enseigne, mais est-ce vrai ? On sait que les « séminaires Inra-AgroParisTech de gastronomie moléculaire », qui ont lieu chaque mois depuis seize ans, testent ces idées… et c’est donc une idée que nous avons testée lors du séminaire de février 2017.

Quelques observations préliminaires.

Avant de rapporter les résultats du séminaire où nous avons exploré cette « précision culinaire », je propose deux observations. Premièrement, on voit dans le titre des séminaires qu’il s’agit bien de « gastronomie moléculaire », une science qui doit beaucoup à la physique chimique, et qui n’est pas prête de mourir, contrairement à ce que disent ceux qui prennent leurs désirs pour des réalités, ou ceux qui confondent la gastronomie moléculaire et la cuisine moléculaire… parce qu’ils ne savent pas que, en français, le mot « gastronomie » ne signifie pas « cuisine d’apparat », mais « connaissance ».


Séminaire : L'épluchage des navets par Hervé This
Bref, la gastronomie moléculaire est une discipline scientifique qui se développe dans le monde entier, dans des laboratoires d’universités en Corée, aux Etats-Unis, en Irlande, en Allemagne, en Argentine, etc.

La cuisine moléculaire, elle, est une forme de cuisine qui se particularise parce qu’elle fait usage d’outils que Paul Bocuse n’avait pas : thermocirculateurs ou fours à basse température, azote liquide, siphons… Et je m’amuse quand un chef me dit qu’il ne fait pas de cuisine moléculaire… alors qu’il a un siphon juste devant lui.
N’est-ce pas la preuve que la cuisine n’est pas morte, puisqu’elle est maintenant partout ?


Bref, il n’y a plus lieu de parler de la cuisine moléculaire, puisqu’elle est dans le monde entier, et il y aura toujours lieu de parler de gastronomie moléculaire, puisque cette science ne cesse de se développer. Ah, j’oubliais : les cuisiniers font de la cuisine moléculaire, mais certainement pas de la gastronomie moléculaire, laquelle activité ne produit pas des aliments, mais des connaissances.

Deuxièmement, l’exploration des « précisions culinaires », dans nos séminaires de gastronomie moléculaire, ne vise certainement pas à mettre les enseignants des lycées hôteliers ou des CFA en porte à faux, vis à vis de leurs élèves, mais de leur distribuer une information plus juste que celle qu’ils ont eux-mêmes reçus.

Par exemple, c’est vers 1901 qu’un ignorant, qui avait de l’influence dans l’Education nationale, semble avoir introduit la confusion entre mayonnaise et rémoulade, et c’est un peu plus tard que s’était introduite la théorie fausse de la prétendue cuisson par concentration, ou de la prétendue cuisson par expansion.

Quel dommage d’avoir ainsi induit en erreur des générations de jeunes ! Il faut donc se réjouir que quelques inspecteurs généraux éclairés aient balayé ces erreurs, dans les dernières décennies.

Oui, le but, c’est bien de dégager le vrai du faux, afin d’abandonner les idées fausses et de transmettre des idées justes. Qui peut y avoir à redire ?

Séminaire : L'épluchage des navets par Hervé This

Tout cela étant posé, arrivons à notre séminaire de février.

Nous avons commencé par peler des navets à l’économe et au couteau… et à goûter les épluchures, afin de savoir où pouvait se trouver l’amertume… et nous n’avons senti aucune amertume !

Les épluchures étaient piquantes, mais pas avec ce piquant du poivre ; plutôt celui d’un raifort. Et quand les navets étaient épluchés au couteau, les épluchures étaient plus épaisses, de sorte qu’elle avaient une partie aqueuse interne, sous la partie piquante externe. Signalons d’ailleurs que le piquant externe a une fonction : pour les fruits et légumes, il est vital d’être protégé contre les agresseurs (insectes, vers, etc.), et c’est la raison pour laquelle ces fruits et légumes, qu’ils soient bios ou pas, se protègent grâce à des composés qui sont des « pesticides naturels ». J’ajoute qu’il a été mesuré que 99,99 pour cent des pesticides de notre alimentation sont ainsi d’origine naturelle… et que les pesticides naturels sont plutôt plus dangereux que les pesticides artificiels, lesquels sont ciblés contre les insectes et pas contre l’homme. D’où le fait qu’il faille souvent peler fruits et légumes.

Le cas le plus notable est la pomme de terre, dont les trois premiers millimètres sous la surface contiennent des alcaloides toxiques : manger une pomme de terre bio non pelées, il n’y a guère plus paradoxal (à part peut-être fumer des cigarettes bio).

Revenons à nos expériences. Comme il se pouvait que des navets différents aient des goûts différents, nous avons épluché un navet d’un côté à l’économe, et de l’autre au couteau. Même résultat que précédemment.

Et donc venu le moment de cuire les navets, à l’anglaise. Puis nous les avons goûté par un test en aveugle. Là, il est apparu qu’il n’y avait pas de différence d’amertume, mais que l’épluchage à l’économe laissait une partie dure à l’extérieur, ce qu’enlevait le couteau.

Mais, je le répète : aucune différence d’amertume !

Concluons : si l’on veut, on peut continuer de dire aux jeunes cuisiniers qu’il « faut » éplucher les navets au couteau, mais il n’est plus possible de leur expliquer que cela enlève l’amertume… puisqu’il n’y a pas d’amertume dans toute cette affaire (à part peut-être de vieux navets, que nous n’avons pas testé… mais cela reste donc à vérifier).

Par Hervé This