Les potages de santé

Les potages de santé ? Le dictionnaire général moderne est bien faible, puisqu’il ne donne comme sens que celui de potages qui conserveraient la santé. C’est négliger que la langue professionnelle a ses définitions, qu’il faut aller chercher dans les livres de cuisine anciens.

C’est ainsi que François Pierre de La Varenne, en 1651 dit des « potage de santé » qu’ils se font de chapons, empotés avec du bouillon et des herbes.

Quelques années plus tard, en 1655, Nicolas de Bonnefons écrit : « Je vous dirai, pour votre instruction, qu’il n’y a rien qui plaise plus à l’homme que la diversité & surtout le Français qui a une inclination toute particulière ; c’est pourquoi essayez-vous le plus que vous pourrez à faire diversifier & distinguer par le goût & la forme ce que vous ferez apprêter : qu’un potage de santé soit un bon potage de Bourgeois, bien nourri de bonnes viandes bien choisies & réduit à peu de bouillon, sans hachis, champignons, épiceries, ni autres ingrédients ; qu’il soit simple puisqu’il porte le nom de santé.

Ici, on voit que le potage de santé contient de la viande et des herbes, mais il se caractérise par sa simplicité.

Puis, en 1722, Massialot donne des précisions : «  Il faut remarquer à l’égard des Potages, qu’il y en ait la moitié en beau Bouillon clair, que l’on appelle Potage de Santé, soit avec des petites herbes ou autres, & l’autre moitié en coulis, mais fore legers, afin qu’ils ne paroissent point plûtôt Ragoûts que Potages, sans être trop chargez de Viandes. »

Il signale d’ailleurs un bouillon maigre pour le Potage aux herbes : « Mettez toutes sortes de bonnes herbes avec de l’eau dans une marmite avec deux ou trois croûtes de pain, assaisonnez de sel, beurre, & un bouquet de fines herbes. Ayant cuit une heure & demie, passez le bouillon par un linge ou étamine. Il vous servira pour le Potage de Santé sans herbes, & pour beaucoup d’autres, comme Potages de Laitues, d’Asperges, de Chicorée, d’Artichaux, de Cardes, &c.

Mieux encore, il évoquer des potages de santé aux oignons, et aussi en maigre, ce qui signifie qu’il ne contenait pas de viande. Mais ordinairement, il y fallait des tissus animaux : poules, chapons, poulets, pigeonneaux, poitrine de boeuf, les « bouts saigneux » de mouton, les jarrets de veau

Bien plus récemment, on voit que l’usage s’est perpétué, notamment avec le dictionnaire de Joseph Favre (1889), qui l’évoque à propos de « chiffonade » : « On appelle ainsi une préparation de laitues, oseille, cerfeuil et ciboules, qu’on lave et passe cinq minutes au beurre frais, pour enlever l’âcreté ; cette préparation est déposée dans une soupière avec des croûtons, sur lesquels on verse du bouillon ou du consommé; lorsque cette préparation est liée avec de la crème fraîche, du lait et du beurre frais, elle prend le nom de potage à la chiffonnade ; arrosée avec de l’eau bouillante salée et liée, elle constitue le potage de santé. » C’est là une déformation, et l’on conservera donc la recette la plus ancienne répertoriée : un potage simple fait d’eau, de viande et de végétaux.

 

Par Hervé This