L’eau du thé par Hervé This

Le thé fait avec de l’eau chauffée au four à micro-ondes est-il différent du thé préparé à partir d’eau bouillie dans une casserole ?

La cuisine est pleine de mystères, quand il s’agit de cuisine ancienne, et elle est pleine de rumeurs, notamment quand il s’agit de nouvelles techniques. Lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons cherché à savoir si le thé préparé à partir d’eau chauffée au four à micro-ondes différait, comme le disent certains, de thé préparé à partir d’eau chauffée « normalement », dans une casserole.


L'eau du thé par Hervé This
La seule évocation des fours à micro-ondes doit nous alerter, car les rumeurs ont été innombrables à propos de ces outils dont le fonctionnement est mystérieux pour beaucoup. D’ailleurs, il est amusant d’observer que les rumeurs ont été nombreuses initialement, et qu’elles se sont largement calmées.

À la base, il y a donc les micro-ondes, des ondes qui sont invisibles et qui chauffent les aliments. Est-ce si extraordinaire ? Par sûr : si nous faisons l’expérience d’approcher une main d’une joue, sans contact, on sent de la chaleur, alors même que l’on ne voit rien entre la main et la joue. Il passe donc quelque chose, et ce quelque chose a été nommé rayonnement infrarouge. C’est le même phénomène qui nous réchauffe, devant un feu de bois, dans une cheminée : les rayonnements infrarouges sont des ondes cousines des lumières visibles, bleues, jaunes, vertes, oranges, rouges… qui nous chauffent.


L'eau du thé par Hervé This
Pourquoi l’idée d’ondes, ou de rayonnements invisibles nous heurte-elle un peu ? Les actions à distance, plus généralement, sont des mystères qui fascinent l’être humain : l’influence d’un aimant sur un autre aimant, l’attraction de la Lune par la Terre… Et d’autres. Et pourquoi, pour le feu, l’étonnement n’a-t-il pas lieu ? Après tout, il s’agit de rayonnements infrarouges qui ne sont ni plus, ni moins invisibles que les micro-ondes ? Une familiarité ancienne ? Le fait que nous fassions nous même brûler le bois ? Le fait qu’il y ait de la lumière visible qui accompagne les ondes invisibles, et les « matérialise », en quelque sorte ?

Bref, dans les fours à micro-ondes, il y a des ondes invisibles, et qui chauffent, mais, de plus, elles entrent jusqu’au coeur des aliments. Est-ce si étonnant ? Pour ceux qui le croient, je propose l’expérience de mettre un doigt devant une petite lampe LED rouge d’un appareil wi-fi : on voit de la lumière à travers le doigt, preuve qu’une partie de lumière rouge a traversé le doigt, lequel est fait de « viande ». Pas étonnant que des ondes puissent, donc, traverser les tissus animaux ou végétaux.


L'eau du thé par Hervé This
Alors pourquoi les micro-ondes font-elles peur ? J’ai entendu de tout : elles feraient tourner les molécules à l’envers ; elles seraient cancérogènes ; elles s’échapperaient à travers la porte des fours ; quelqu’un aurait mis un chat dans un four à micro-ondes pour le sécher après un bain …

Pour ce qui concerne le chat, je doute vraiment de l’histoire, car celui qui a fait l’expérience a dû se faire sérieusement griffer. Pour les portes, il y a bien ces recommandations des fabricants, mais faut savoir que les micro-ondes sont peu différentes des ondes radio qui sont partout autour de nous : la meilleure preuve est que nos postes de radios ou nos téléphones captent ces ondes. Quant aux molécules qui tournent à l’envers, le physico-chimiste ce que je suis et qui connaît les molécules peut certifier que cette phrase n’a aucun sens, et nous pouvons nous-mêmes nous mettre à tourner d’un côté ou de l’autre, cela ne change rien. C’est une ignorance qui s’exprime là, et ce que craignent les timorés n’a rien à voir avec le fait que les molécules tournent, mais plutôt qu’il existe des composés qui peuvent être de différents types, à savoir comme une main gauche ou comme une main droite. Ces molécules sont différentes, et les aliments en contiennent des quantités variées.

Finalement, après des décennies d’études, qui ont été la base des réglementations qui protègent les citoyens, on a montré que les composés nouveaux qui apparaissent lors d’une cuisson dans un four à micro-ondes ne diffèrent pas de ceux qui apparaissent lors d’une cuisson par ébullition dans une casserole. Mais on ne convaincra jamais ceux qui ne veulent pas être convaincus, ni ceux sans doute ceux qui ont peur.

Faut-il passer du temps à explorer des précisions culinaires idiotes ? Pas sûr. Pour autant, il y avait des possibilités que de l’eau chauffée au four à micro-ondes fasse un thé différent, de l’eau chauffée à la bouilloire, car on aurait pu imaginer que le dégazage serait différent, par exemple, ou que la précipitation du calcaire se fasse différemment dans les deux cas. Tout comme il y a la possibilité (je dis bien « possibilité ») que de l’eau chauffée au four à micro-ondes soit en vive ébulliion quand on y dépose un solide (certains prétendent qu’il y a un grand danger, avec de l’eau bouillante qui vous jaillit au visage). Ou encore que l’eau chauffée au four à micro-ondes refroidisse plus lentement que de l’eau chauffée classiquement.
Commençons par l’idée selon laquelle de l’eau chauffée longtemps dans un four à micro-ondes se mettrait à jaillir au visage des utilisateurs. J’ai bien essayé d’obtenir cet effet, évidemment sans mettre mon visage au-dessus d’un récipient où de l’eau avait été chauffée au four à micro-ondes mais je n’ai jamais réussi. En déposant dans l’eau ainsi chauffée et des poudres, sucre, sel, etc. j’ai effectivement obtenu une ébullition mais jamais ce jet d’eau bouillante qui m’a été annoncé. D’ailleurs il n’y a pas de mystère à ce phénomène d’ébullition déclenchée par un solide mis dans l’eau chauffée : il suffit de savoir que la formation des bulles ne ne se fait que sur des impuretés, des aspérités, d’où le phénomène, qui s’apparente en tout point à celui qui s’observe à l’effervescence que l’on obtient quand on met du menthos ou du sable dans une bouteille de Coca-Cola, une façon pour les fabricants de Coca-Cola de vendre beaucoup de produits à de jeunes nantis (assez riches pour payer du Coca-Cola… et pour le gâcher). Pour l’eau qui refroidirait plus vite, là, j’ai fait de nombreuses expériences, et je n’ai vu aucune différence.


L'eau du thé par Hervé This
Reste la question du goût du thé : change-t-il, lui ? Lors de notre séminaire, nous avons comparé le même thé (des sachets d’une même boite), préparé à partir d’eau chauffée au four à micro-ondes d’eau et avec de l’eau chauffée dans une bouilloire. L’eau était mise en même temps dans des verres où des sachets (un par verre) avaient été initialement placés, et les sachets ont été retirés des verres en même temps. 
Puis, pour nos dégustations, nous avons utilisé le seul test que je conseille pour de telles expérimentations, à savoir le test triangulaire, qui consiste à proposer à une personne trois produits anonymes dont deux sont identiques. La personne qui fait le test doit seulement répondre à la question : quels sont les deux produits identiques ? Un et deux, ou deux et trois, ou un et trois ?

Dans notre séminaire, les deux premiers dégustateurs (ils ont fait le test plusieurs fois de suite) n’ont vu aucune différence, et le troisième, un cuisinier professionnel, a reconnu une différence, mais celle-ci était une différence d’infusion, et non pas une différence de nature de de l’eau chauffée (il y avait d’ailleurs une légère différence de couleur), de sorte que l’on nous ne pouvons pas conclure dans un sens ou dans l’autre pour l’instant.

Il faut donc poursuivre les tests, les refaire, et j’invite tous ceux qui le feront à bien considérer que l’eau bouillante, c’est l’eau bouillante et qu’il n’y a pas de de raison de penser qu’il puisse y avoir une différence. J’invite surtout ceux qui expérimenteront à m’envoyer leurs résultats, en les assortissant d’une foule de détails expérimentaux : durée d’infusion (mesurée à la seconde), type de thé… Attention, aussi, à la température de dégustation, qui doit être absolument la même pour tous les produits dégustés. Attention à ce qu’il n’y ait pas de différence de couleur, à la position des verres par rapport aux fenêtres (nous avons souvent vu une influence sur la couleur), etc.

Par Hervé This