Le piquant n’existe pas par Hervé This

Je sens que je vais choquer avec cette déclaration « Le piquant n’existe pas ». Pourtant, elle est parfaitement juste, et voici pourquoi.

Dans mon sac à malices, j’ai des composés purs, c’est-à-dire des matières qui sont faites toutes des mêmes molécules. Par exemple, le sucre de table est en réalité ce que les chimistes nomment du saccharose, et les cristaux de sucre, petits ou gros, sont tous faits de petits objets, les molécules, qui sont entassés comme des cubes, les uns sur les autres. Ils sont si nombreux que, même petits à ne pouvoir être vus à l’oeil nu, ils forment ces cristaux du sucre en poudre.


Certains composés sont sucrés, d’autres acides, d’autres salés, d’autres amers, d’autres encore ont une saveur réglissée, d’autres ont une saveur de bouillon de viande, d’autres ont la saveur de l’alcool… Bref, il y a sans doute une infinité de saveurs différentes.

Parmi les flacons de mon sac, j’en ai trois que j’aime beaucoup et qui se présentent tous les trois sous la forme d’une poudre blanche : comme du sucre, du sel… A l’oeil nu, on ne voit pas de différence. A l’odeur non plus, d’ailleurs : les trois poudres n’ont pas d’odeur.

En revanche, dès qu’on met une pincée de ces poudres dans la bouche, c’est le feu ! Pour l’une d’entre elle, la pipérine, on sent un piquant sur la langue. Pour une autre poudre, la capsaïcine, c’est dans le nez, que l’on sent du piquant, et un piquant différent : il arrive plus longtemps après avoir consommé la poudre, et il est plus « chaud », en quelque sorte.

Enfin, la troisième poudre est ma préférée : c’est de l’… Prenons notre élan pour le lire : « isothiocyanate d’allyle » ! Difficile à dire… mais facile à reconnaître : on sent immédiatement le piquant du raifort, de la moutarde, du wasabi, du cresson…


Le piquant ? Lequel ? Il y a trois piquants différents… et ce ne sont pas les seuls ! Souvent, d’ailleurs, quand on mange une cuisine classique, où le cuisinier a utilisé un poivre, il y a du piquant, mais ce sont en réalité, des piquants, et c’est parce que nous ne sommes pas assez attentifs que nous ne les distinguons pas.

Bref, pour faire progresser l’art culinaire, je propose de ne plus utilisant le mot « piquant » au singulier : il n’y pas un piquant, mais des piquants !

Par Hervé This