L’acclimatation de la cuisine note à note : nouvelles de décembre ! par Hervé This

Lors de nos séminaires de gastronomie moléculaire, il est de coutume, depuis un an, de discuter un peu de la cuisine note à note. Les nouvelles récentes, sur ce front-là, sont des présentations de la cuisine note à note au Japon, puis en Irlande.

Au Japon, signalons une belle collaboration avec des chefs enseignants de l’Ecole du Cordon bleu, et, notamment, avec Guillaume Siegler. Ce dernier a notamment composé des « sushis note à note » qui ont été publiquement dégustés par Takuji Takahashi, chef du restaurant Kinobu, de Kyoto.Pour ces sushis, de l’eau, de l’acide tartrique, du monoglutamate de sodium, du glucose, du vinaigre cristal, de l’agar-agar, de la gomme xanthane, du sel. Présentons ces composés et expliquons comment ils ont été mis en œuvre.

Avec l’eau, tout d’abord, nous pouvons discuter la notion de « composé », essentielle pour la cuisine note à note, puisque cette cuisine ne fait pas usage de fruits, légumes, viandes et poissons, mais seulement de composés.

L’eau est un composé, parce qu’elle est faite de minuscules objets tous identiques : les molécules d’eau. Dans un verre d’eau, ces molécules d’eau sont comme des boules de billard qui seraient sans cesse en mouvement, rebondissant les unes contre les autres, rebondissant contre les parois…


l’eau est-elle un composé « chimique » ?

Tiens, une question : l’eau est-elle un composé « chimique » ? Ici, je propose de penser qu’est « chimique » ce qui a fait l’objet du travail de la chimie, laquelle est l’activité de production de nouvelles molécules.

Quand un chimiste synthétise de l’eau, cette eau est donc « chimique ». L’eau du ciel, elle, n’a pas été synthétisée par un chimiste, et même l’eau que l’on peut distiller n’est pas modifiée : les mêmes molécules sont au début et à la fin.
De toute façon, les molécules d’eau, synthétisées ou extraites de produits naturels (les végétaux, la pluie, les rivières), sont toujours identiques !


Les pâtissiers utilisent l’acide tartrique

L’acide tartrique : les pâtissiers en utilisent, et il s’en forme au fond des bouteilles de vin blanc, quand il fait froid, raison pour laquelle Louis Pasteur, dont on ne dit pas assez qu’il était chimiste, s’y est intéressé : son père était tanneur, mais il avait une vigne à Arbois !

L’acide tartrique a une saveur acide, élégante, bien différente de la saveur acide de l’acide acétique que l’on trouve dans le vinaigre, bien différente de la saveur acide de l’acide malique, qui fait l’acidité des pommes pas encore mûres, bien différente de l’acide citrique qui fait le jus de citron…

Bref, l’acide tartrique a une acidité élégante. Il se présente sous la forme de cristaux blancs, comme du sucre… mais avec une saveur bien différente. Et cela fait longtemps que je propose de l’employer dans une salière, sur les tables ou dans les cuisines. Il éviterait notamment d’utiliser des citrons quand on veut un peu d’acidité sans avoir le goût citronné.


Le monoglutamate de sodium : il s’agit d’une forme saline de l’acide glutamique, qui est un des 20 acides aminés qui constituent notre organismes. Autrement dit, les aliments classiques contiennent tous des quantités variées de monoglutamate. Selon les individus, et leur génétique, le monoglutamate de sodium a une saveur salée, ou sucrée, ou « bouillon de poule ». Et c’est parce qu’il donne de la saveur qu’il a été préparé par une grosse société japonaise, et qu’il est utilisé dans des restaurants asiatiques. En grande quantité, je ne l’aime pas, parce que je lui trouve un goût « vulgaire », mais en petites quantités, il est intéressant.

Est-il responsable d’intoxication, comme le disent certains ? On parle en effet du « syndrome du restaurant chinois », en accusant le monoglutamate de sodium… mais il faut bien observer que l’on parle de bien des choses fausses, au « café du commerce ». Plus sérieusement, le glutamate est un antagoniste de certains médicaments, de sorte que les personnes souffrant d’affections cardiaques et traitées contre ces dernières doivent éviter le composé. Pour les autres… nous avons du glutamate dans tout notre organisme.

Le glucose : là, il y a de la confusion, en cuisine, parce que l’on dispose soit de « sirop de glucose », soit de glucose en poudre provenant des sirops précédents. Dans les deux cas, on a un mélange de deux composés, à savoir le glucose et le fructose.

Si le fructose est très sucré (deux fois et demie plus que le saccharose, qui est notre sucre de table), le glucose, lui, est seulement « doux », avec de la longueur en bouche. La cuisson des carottes, des oignons, par exemple, en libère beaucoup : un bouillon de carottes, c’est essentiellement de l’eau avec du glucose, du fructose, du saccharose.
Si vous en avez l’occasion, testez l’ajout de glucose dans votre cuisine : vous m’en direz des nouvelles.


Le vinaigre cristal : à proprement parler, ce n’est pas un composé, mais un mélange de deux composéss, que sont l’eau et l’acide acétique. L’ eau a été présentée ci-dessus. Pour l’acide acétique, c’est un composé acide, qui peut être fabriqué par voie chimique, ou par simple fermentation. Quand on laisse une solution d’éthanol (ou du vin) à l’air libre, des micro-organismes oxydent l’éthanol (l’alcool de tous les vins, cidres, eaux de vie, liqueurs…) en acide acétique.

L’agar-agar : c’est un composé qui se présente sous la forme d’une poudre blanche et que l’on extrait d’algues rouges. Il est gélifiant : mis dans l’eau ou dans un liquide qui contient de l’eau (vin, jus de fruit, fond, etc.), il forme un gel si l’on chauffe jusque vers 90 degrés, mais il ne prend qu’à une température de 40 degrés environ.

La gomme xanthane : c’est encore une poudre blanche, qui est obtenue par fermentation, et qui permet d’épaissir ou de gélifier.

Le sel : ce n’est pas un composé, à proprement parler, mais ce serait finasser. Le sel de table, qu’il vienne des mines ou des marais salants, est toujours du chlorure de sodium, avec des impuretés qui donnent de la saveur ou de la couleur. Souvent, c’est sa cristallisation particulière qui est intéressante.


Avec tous ces produits, Guillaume Siegler a fait un liquide épais qu’il a chauffé, puis divisé en deux moitiés. Une moitié a été laissée en l’état, et a formé un gel. L’autre moitié a été placée dans un siphon, et a été rapidement siphonnée, ce qui a fait une étrange mousse gélifiée, qui a été mélangée à l’autre moitié.

Au total, cela a fait une reproduction du riz des sushis japonais… au point que les Japonais ont été stupéfaits !

Par Hervé This