La sauce hollandaise par Hervé This

Lors du dernier séminaire de gastronomie moléculaire, nous avons exploré la sauce hollandaise. Précédemment, nous avions déjà montré publiquement comment on peut rattraper une sauce hollandaise ou béarnaise tournée, à l’aide d’eau froide, mais nous voulions, cette fois-ci, examiner des techniques de confection qui semblaient bien différentes.
Par exemple, certaines recettes de sauce hollandaise proposent de d’abord fouetter du jaune d’oeuf avec de l’eau, puis d’ajouter du beurre clarifié, tout en fouettant, avant de terminer avec du jus de citron, du sel, du poivre. D’autres recettes, au contraire, proposent de mélanger directement du vinaigre ou de l’eau salée, des jaunes d’oeufs et du beurre, et de chauffer tout en fouettant. Certaines recettes proposent de faire un roux initial, tandis que d’autres stipulent que l’ajout de farine est proscrit. On voit même des recettes qui font réduire de l’eau salée, avant d’ajouter jaune et beurre…

Commençons par commenter la dernière phrase du paragraphe précédent : pourquoi est-ce étrange de faire réduire du sel ? Parce que la physico-chimie sait que c’est complètement inutile, que c’est une perte de temps et d’énergie ! Quand on met du sel dans de l’eau, il se dissout. Quand on chauffe de l’eau salée, l’eau s’évapore, mais le sel dissout ne subit aucune transformation chimique, et l’on a seulement de l’eau plus salée… que l’on aurait eue en mettant initialement plus de sel.

Ce commentaire étant fait, revenons aux deux principales méthodes de confection de la sauce hollandaise, les deux méthodes que nous avons testées. 


Deux méthodes différentes

Dans la première, on fait un sabayon, et l’ajout de beurre que l’on fouette permet, ensuite, d’émulsionner la matière grasse dans la mousse initialement produite. On obtient une émulsion foisonnée, car l’expérience prouve que les bulles d’air ne sont pas perdues lors de l’opération.

D’autre part, quand on chauffe l’eau, l’oeuf et le beurre, le beurre qui fond s’émulsionne dans la sauce hollandaise, mais celle-ci est difficilement foisonnée, et l’on a une consistance plus lisse, de pommade, en quelque sorte.

Bref, deux méthodes différentes, pour deux résultats différents. Deux produits pour un seul nom ? Je propose, au contraire, de désigner les deux produits par des noms différents, et l’antériorité de la seconde méthode semble devoir attribuer le nom de sauce hollandaise à la sauce, où l’on n’a pas fait de sabayon initial. Comment nommer l’autre sauce ? Pourquoi pas sauce hollandaise foisonnée, tout simplement ?


L’utilisation d’eau salée, de vinaigre, de jus de citron ? Les expériences restent à faire, mais il est peu probable que le changement d’acidité de la sauce ait beaucoup d’influence sur le résultat, en terme de consistance.En revanche, il y aura évidemment un effet, en terme de goût. 

Le sel ? Il sale la sauce. Le poivre ? Il libérera du goût à la fois dans la partie aqueuse et dans la partie grasse de la sauce. Faut-il le mettre avant ou après la confection de la sauce ? Les bons cuisiniers disent que le poivre doit être mis moins de huit minutes avant la fin de la cuisson, pour un bouillon, et j’avais montré, en 1992 (je crois), que du bouillon poivré trop tôt à l’avance perd sa fraîcheur, devient un peu âcre et astringent, tout comme du thé qui aurait trop infusé. Mais, ici, la confection d’une sauce hollandaise prend moins de quatre minutes, de sorte que le risque d’infusion excessive n’est pas grand, d’autant que la sauce ne bout pas.

La farine ? Mise avant ou après la réalisation de la sauce, elle va ajouter des grains d’amidon qui vont empeser, libérer un composé nommé amylose (pensons à des fils microscopiques) qui préviendra la formation éventuelle de grumeaux. Est-elle à proscrire ? J’aurais tendance à dire que ces anathèmes sont risibles, tout comme quand nos amis suisses ou savoyards disent qu’il ne faut « absolument pas » mettre de farine dans la fondue ! En réalité, la question est la quantité : avec une pincée, je suis bien sûr qu’aucun cuisinier ni aucun critique culinaire ne verrait la différence, de sorte que la proscription est excessivement rigoureuse, et j’utilise ici à bon escient le mot « excessivement ».

En revanche, avec plus qu’une pincée, oui, il peut y avoir une consistance bien différence, et la sauce ne doit alors plus être nommée hollandaise, car la liaison serait alors due à l’amidon, comme dans un velouté.

De velouté ? Le grand Carême mêlait du velouté à la sauce montée au beurre que nous considérons aujourd’hui comme une hollandaise ! D’ailleurs il n’utilisait pas de citron, mais du vinaigre, et il employait de la crème et du fond blanc, pour augmenter le goût, rendre la sauce « appétissante et relevée ».


La sauce hollandaise par Hervé This
Ces explorations ont une sorte de « moralité » : puisque le Guide culinaire n’est pas une source fiable, en termes de dénomination des sauces, il ne doit pas être suivi. De surcroît, on n’observera pas assez que ce livre n’a pas assez considéré l’histoire de la profession, et qu’il a pêché par ignorance. Je ne répéterai jamais assez que l’on ne fera grandir le métier que si l’on distingue mieux, pas si l’on confond : pensons à des menuisiers qui dénomeraient de même les tournevis et les marteaux !

Bref, il y a lieu de bien reprendre l’histoire de la cuisine, avant de prendre des décisions de dénomination… qui permettront à la profession d’éviter que le Codex alimentarius, utilisé par les grosses entreprises, ne dénomment « béarnaise » des sauces, où le beurre est remplacé par de la matière grasse végétale (huile) !

Par Hervé This