Juste température, basse température par Hervé this

Basse température, juste température… De quoi s’agit-il ? Pour le comprendre, il faut se souvenir que, il y a quelques décennies (environ 1980), on braisait ou l’on sautait ou rôtissait. Pour le braisage, l’écueil était le « coup de feu », qui portait le liquide à ébullition, ce qui faisait les viandes irrémadiablement dures. Pour le rôtissage ou les sautés, la difficulté était soit la sécheresse des viandes, soit leur manque de jutosité.

Progressivement la gastronomie moléculaire a d’abord découvert, puis enseigné, que tout cela s’interprétait en comprenant que les viandes sont des faisceaux de fibres, lesquelles contiennent de l’eau et des protéines (comme du blanc d’oeuf) et sont solidarisées par du tissu collagénique.

Quand on saute un steak, par exemple, la chaleur très vive (jusqu’à 300 °C) permet de coaguler et d’assécher la surface, ce qui produit une croûte brune qui a beaucoup de goût, tandis que le court temps de cuisson évite l’évaporation de l’eau, de sorte que la viande ne durcit que sur une mince couche externe, mais reste tendre et juteuse à coeur.

Quand on rôtit, la chaleur met plus de temps à entrer à coeur, mais là encore, évidemment, il ne faut pas perdre tout le jus, pour ne pas perdre la jutosité qui est un des plaisirs des viandes. La plus longue cuisson fait une croûte plus épaisse, et, surtout, quand la cuisson est bien conduite, on obtient un dégradé de cuisson, du coeur jusqu’à la périphérie.


Pour les viandes pochées ou braisées, il faut cette fois cuire très longtemps pour obtenir une dégradation du tissu collagénique qui fait les viandes dures, mais, inversement, il faut surtout rester à une température bien inférieure aux 100 degrés de l’ébullition, sous peine d’avoir un intérieur dur… comme un blanc d’oeuf d’oeuf dur cuit trop longtemps.

Tout cela étant dit, on est convenu de désigner par « basse température » une température de cuisson inférieure à 100 degrés, et d’utiliser cette terminologie pour des cuissons de type braisage, pour lesquelles les durées de cuisson sont très grandes.


On observera que tout cela s’explique bien à partir des œufs : en 1995, j’ai découvert que l’on pouvait obtenir des oeufs très remarquables en cuisant longtemps (jusqu’à ce que la température soit partout égale) à des températures un peu supérieures à 61 °C.

Par exemple, à 65 °C, le blanc devient laiteux, mais le jaune reste liquide. C’est que j’avais nommé l’ “oeuf parfait”, mais que j’ai nommé ensuite “oeuf à 65 °C”. Et j’ai montré à cette époque que l’on obtenait des oeufs très différents à différentes températures : 65, 67, 68, 70, etc.


Pour les viandes, cela a l’intérêt que, en cuisant très longtemps à basse température, on évite le durcissement des fibres musculaires, tandis que l’on permet la dissolution du tissu collagénique, qui fait les viandes dures : après plusieurs heures ou jours à basse température, la viande devient fondante.

Attention : ne pas descendre au dessous de 60 °C environ, pour ces cuissons longues, afin de ne pas flirter avec des températures qui favoriseraient le développement de micro-organismes pathogènes.

Cela étant posé, on comprend que l’on puisse avoir intérêt à mettre les viandes sous vide, dans une poche où, une fois la cuisson faite et les micro-organismes éventuels tués, la conservation puisse être très bonne. Mais ce sont deux objectifs différents : la cuisson à basse température d’un côté, la mise sous vide de l’autre. Et ajoutons enfin que tout cela est de la “cuisine moléculaire” : d’ailleurs, les premiers à faire ces cuissons utilisaient des thermocirculateurs de laboratoire. C’est seulement ensuite que les fabricants d’équipements se sont imposés, avec des réglages plus bas.

Et la cuisson à “juste” température ?

Historiquement, il y avait quelques cuisiniers qui parlaient de juste température, ce qui m’a toujours choqué, parce que ce qui est bien pour l’un ne l’est pas pour l’autre, ce qui est bien dans une circonstance culinaire particulière ne l’est pas pour une autre circonstance. A la limite, on pourrait dire qu’une température est “juste” quand elle correspond à la consigne : si l’on fixe une température de consigne d’un four à 68 °C et que la température dans le four est effectivement à 68 °C, le four est juste, et la température aussi, puisqu’elle est “conforme à une norme” (définition du dictionnaire).

Mais, à ce compte, une température de 180 °C pourrait également être juste… sans être basse ;-).

Bref, oublions nos propres définitions, et revenons sans cesse à celles du dictionnaire !

Par Hervé This