Encore des questions de sauce hollandaise Hervé This

En cuisine, la question est sauces est évidemment essentielle, avec celle des cuissons, et celle des assaisonnement. Et c’est pourquoi nous avons décidé, lors de notre dernier séminaire de gastronomie moléculaire en février 2019, de nous remettre à l’étude des sauces hollandaises.

Nous étions partis de quelques textes de base, pris chez les bons auteurs classiques.

Ainsi, pour Jules Gouffé (1867, Le livre de cuisine), la sauce hollandaise se fait ainsi :
« Ayez 120 grammes de beurre toujours de première qualité. Faites réduire dans une casserole de la contenance d’un litre 2 cuillerées à bouche de vinaigre, assaisonnées de 5 grammes de sel et de 3 grammes de poivre blanc ; votre réduction doit vous donner une cuillerée à café de vinaigre. Retirez du feu, et ajoutez 2 cuillerées à bouche d’eau froide et 2 jaunes d’œufs, en ayant le soin de retirer les germes et de ne laisser aucune partie de blanc. Remettez sur un feu doux et tournez avec la cuiller de bois. Aussitôt que les jaunes commencent à prendre, retirez du feu, ajoutez 20 grammes de beurre, tournez avec la cuiller jusqu’à ce que les 20 grammes de beurre soient fondus. Remettez sur le feu une minute, et ajoutez 20 grammes de beurre ; Relirez encore une fois du feu, ajoutez également 20 grammes de beurre. Ce travail doit se répéter jusqu’à l’emploi des 120 grammes de beurre, 20 grammes par 20 grammes. N’ajoutez une nouvelle quantité de beurre que lorsque la précédente est bien fondue. Après avoir mêlé la troisième partie de beurre, versez dans la casserole une cuillerée à bouche d’eau froide pour empêcher la sauce de tourner. Lorsque tout le beurre aura été employé, vous verserez encore une cuillerée d’eau pour que la sauce ne soit pas trop liée ; si, malgré celte précaution, elle marquait le dos de la cuiller à plus de 3 millimètres d’épaisseur, vous ajouteriez une troisième cuillerée d’eau froide. Goûtez la sauce, et assaisonnez suivant le goût des personnes.
Observation. — Il arrive souvent que l’on mêle à la hollandaise soit sauce blanche, soit farine ou fécule : selon moi, c’est en dénaturer le caractère et le goût. Ces additions n’ont d’autre effet que de compliquer le travail inutilement, et en même temps de changer le principe de la sauce, qui ne doit avoir absolument d’autre base que le jaune d’œuf et le beurre.
La sauce hollandaise faite dans les vrais principes est pour les connaisseurs la reine des sauces blanches.


Pour le Guide culinaire, plus tardif :
Infusion de 1 gramme de mignonnette dans 4 cuillerées d’eau et 2 cuillerées de vinaigre. Réduire de moitié, ajouter 5 jaunes et monter à feu doux ou au bain avec 500 grammes de beurre, et addition de 1 décilitre d’eau pendant le montage, et par petites parties, afin de la rendre plus légère.

Et nous aurions pu multiplier les sources, mais, en réalité, c’est un texte de Marie-Antoine Carême (L’Art de la cuisine française au XIXe siècle avec Plumerey) pour les deux derniers tomes, Éditions De Kérangué et Pollès, 1981 (première édition en 1847), t. I, p. 126) qui nous a intéressés, parce qu’il a écrit, à propos d’une sauce au beurre à la hollandaise ordinaire :
“Il faut avoir soin de cuire les œufs avant d’y additionner le beurre par parties, ainsi qu’il est indiqué.”
D’où la question que nous avons explorée : voit-on une différence si l’on cuit les jaunes avant de mettre le beurre, ou si l’on cuit les jaunes avec le beurre ?

La question étant ainsi bien posée, la discussion avec des professionnels a montré que des théories fausses ont cours en cuisine ou dans l’enseignement culinaire : en effet, nos amis nous ont dit que la hollandaise n’est pas chauffée à plus de 45 °C… alors que le jaune ne cuit, en réalité, qu’à plus de 60 °C.


Pour nos expérimentations, nous avons décidé de tester des hollandaises toutes constituées ainsi :
2 jaunes
5 cL d’eau
très petite cuiller rase de sel
125 grammes de beurre
Nous avons utilisé toujours la même plaque et toujours la même casserole. Et tout d’abord, nous avons fait une hollandaise en cuisant d’abord les jaunes et l’eau avant d’ajouter le beurre.

Puis nous avons comparé avec la sauce que l’on obtient en mettant tous les ingrédients ensemble. La préparation s’obtient bien plus difficilement, mais, surtout, au début il est difficile d’émulsionner la matière grasse. Cela étant, ce deuxième résultat était indiscernable du premier.

Ayant ainsi résolu la question posée, nous avons voulu faire une « béarnaise 2K », pour laquelle j’avais proposé de faire un « sabayon », en utilisant trois fois plus d’eau que dans la sauce classique, avec les jaunes. En cuisant tout en fouettant, nous avons obtenu un sabayon très foisonné ; puis, quand nous avons ajouté le beurre, nous avons récupéré finalement une sauce claire (ce qui s’explique par la présence de beaucoup de bulles d’air) et bien plus légère.


A noter que, pour nos expérimentations, nous avons utilisé du beurre non clarifié… mais c’est là une autre histoire, et je renvoie les personnes intéressées vers les séminaires précédents, où nous avions exploré cette question.

J’invite les professionnels à faire des tests complémentaires et à m’envoyer les résultats à icmg@agroparistech.fr

Par Hervé This