La sommelière Caroline Furstoss raconte l’histoire de l’un des cépages nobles alsaciens, le Gewurztraminer. Pour l’occasion, elle partage des accords mets et vins avec quelques domaines alsaciens et les plats imaginés par le traiteur colmarien Gautier Zehrfuss ! Élue Sommelière de l’année en 2014, Caroline tient une chronique dans le magazine Good’Alsace valorisant la richesse des terroirs et des vins d’Alsace.
Originaire de Tramin, dans le nord de l’Italie, ce cépage aromatique et extraverti s’est implanté en Alsace avec un caractère plus épicé, un côté plus « gewurz » en somme ! Il représente aujourd’hui 20% du vignoble rhénan. C’est ici qu’il s’est le plus développé mais ce qui est plus épatant encore, c’est de constater son implantation sur les grands crus et coteaux. Près de la moitié des grands crus alsaciens sont plantés avec ce cépage aromatique ! Il se trouve qu’il est un formidable transmetteur de terroir, lorsque le rendement est limité. Ses sols de prédilection sont l’argile, avec une bonne dose de calcaire. Les élevages peuvent se réaliser dans des contenants neutres (inox) car sa structure en polyphénols est déjà bien construite.
Pour ceux qui ont l’œil au moment des vendanges, vous aurez remarqué que ce cépage a une couleur rose-violette bien caractéristique, si bien que certains sont étonnés d’apprendre que l’on peut produire du vin blanc à partir de ces baies si colorées ! En effet, « c’est le plus rouge des blancs » comme le souligne Olivier Humbrecht.
Ses variantes sont multiples : sec, demi-sec, tendre, moelleux, liquoreux et depuis peu, la macération offre une nouvelle palette ! Cette dernière tendance est arrivée avec une poignée de vignerons qui souhaitaient proposer un vin blanc sec avec une légère impression tannique, en prime, toute l’aromatique épicée est mise en avant.
Malgré toutes ses qualités, notre gewurztraminer qui est toujours apprécié des particuliers, est boudé par les professionnels. Enfin, notez que sur les grands terroirs, ce vin vieillit bien, nous aurons un exemple d’une bouteille d’une dizaine d’années ci-après.
Revenons dans ces montagnes italienne où l’on parle allemand, à Tramin, où la cave coopérative Cantina Tramin a engagé un grand travail de fond pour rehausser la qualité de ce cépage. Là-bas, il est planté sur les coteaux uniquement ; en plaine, place à la plantation de pommiers ! En pas moins de 40 ans, ce cépage est devenu populaire, à tel point que Cantina Tramin est à court de gewurztraminer seulement 5 mois après la mise en bouteille !
Vous l’aurez compris, cette variété, qui fait partie de cépages dits nobles, reste capricieuse et demande une certaine connaissance. Pour s’engager sur le terrain de jeu des accords, il faudra connaître ce qui se cache dans la bouteille, autrement dit sa puissance et sa richesse en sucres. Vous verrez aussi que tout est possible avec ce cépage si complexe ! Mon électrochoc a eu lieu lorsque j’ai dégusté une huître Marennes d’Oléron n°3 aux poireaux, crème de raifort, zestes d’orange avec un gewurztraminer sec (mais sans trop d’alcool), à tester absolument !
L’associer avec des mets reste la façon la plus ludique de découvrir le gewurztraminer. Pour l’événementiel et les animations autour des accords mets-vins, j’aime beaucoup travailler avec Gautier Zehrfuss, jeune traiteur colmarien qui s’est formé auprès des meilleurs chefs de la région. Gautier aime avant tout les vins secs et minéraux, et ce travail autour du gewurztraminer était très intéressant, un beau moment d’échange encore une fois…
Voici une sélection d’accords mets et vins à tester absolument pour plonger dans les profondeurs du gewurztraminer !
Petites astuces de service : servir autour de 9°C – 12°C idéalement et ne pas hésiter à carafer vos bouteilles.
Salade de homard à la mangue, coriandre fraîche et combawa, vinaigrette au curry Gewurztraminer “Grand Cru Steingrubler” 2013 Domaine Albert Mann, millésime en cours au domaine 2018 (34 €)
- Mon accord coup de cœur, où le trait d’union entre le vin et le plat est le citron vert, le vin souligne les parfums de mangue et son sucre a été très bien digéré. C’est sur cette parcelle de Grand Cru que la famille Barthelmé a commencé ses essais en biodynamie au milieu des années 90, et les vins ont clairement gagné en pureté et en profondeur ! Il s’agit là d’un vin complexe et longiligne. Si bien que c’est la sensation saline qui l’emporte en finale avec une vraie belle fraîcheur.
Œuf cuit à 64°C, crémeux de chou-fleur, jardin de légumes, émulsion aux champignons des bois
Gewurztraminer “Collection” 2017 Cave de Ribeauvillé (8,50 €)
- Ce profil sec-tendre du vin est un bon gestionnaire de la fine amertume apportée par le chou-fleur, c’est un mariage complémentaire. Le coriandre et la pivoine donnent un certain relief au plat. Il est difficile de trouver l’équilibre juste avec ce plat tout en nuances. C’est chose faite avec cette cuvée caméléon qui pourra aussi être servie avec des poissons ou des fromages. Il s’agit ici d’un excellent rapport prix-plaisir !
Tataki de thon rouge aux graines de sésame, gambas tigre rôtie, julienne de légumes à l’huile de sésame, sauce ponzu (yuzu, soja) Gewurztraminer “Ostenberg” 2016 Domaine Loew (15,80 €)
- L’Ostenberg est un lieu-dit de Westhoffen qui est orienté plein sud, sur une faille de calcaire et muschelkalck. L’équilibre de ce vin est tout à fait propice à diverses alliances, et nous avons finalement pris une direction orientale. Le sésame qui fait écho aux notes d’orange sanguine et de moka dans le vin, le thon à la chair onctueuse avec cette texture fondante de l’Ostenberg et la sauce ponzu qui appuie la minéralité dans le verre, avec une forte salinité en finale.
Pot-au-feu de foie gras, escalope de foie gras pochée, légumes de cuisson du pot-au-feu et bouillon réduit à l’huile de truffe et Gewurztraminer “Les Folastries” 2016 Josmeyer (19,50 €)
- Les raisins proviennent des parcelles graveleuses du Herrenweg de Turckheim, qui lui confère une aromatique de cardamome, citron confit avec une certaine amplitude. Le plat et le vin évoluent main dans la main, dans un univers finement torréfié, truffé et épicé. La légère douceur du vin absorbe le côté salé du bouillon corsé, c’est un beau dialogue !
Filet de canette laqué à l’orange et au balsamique, croustillant de cuisses confies au thym citron, poêlée de champignons des bois et frite de polenta gratinée au vieux parmesan, Alsace “Ambre” 2018 Domaine Trapet (25 €)
- Rien qu’à l’œil, l’accord de couleur fait mouche ! Cette cuvée Ambre est le résultat d’une macération de gewurztraminer, c’est à dire que l’on va extraire les tanins et la couleur de la peau, le vin est de style sec avec des arômes d’épices et d’herbes aromatiques très intenses, le juteux de la canette et l’association avec orange et balsamique rend le tout envoûtant ! Une expérience haute en couleurs !
Noix de Saint-Jacques rôtie, mousseline de topinambour, endive caramélisée à l’orange et jus de veau réduit à l’huile de truffe, Riesling “Kaefferkopf” 2009 Domaine Maurice Schoech (millésime en cours au domaine 2017), (16 €)
- Le Kaefferkopf à Ammerschwihr est historiquement un terroir de prédilection pour le gewurztraminer et le domaine Schoech nous prouve avec ce 2009 qu’une décennie patine le vin, avec des arômes d’amande, de tabac blond. Un vrai plaisir olfactif avec le topinambour et l’endive caramélisée à l’orange. En bouche, le vin est onctueux, il délivre des notes de pêche blanche et de fins amers qui complètent la sucrosité. Un accord évident !
* Pour tenter cette expérience chez vous, vous pourrez retrouver ces plats chez Gautier Zehrfuss à Colmar ou Ostheim et les vins sont en vente chez les vignerons (les prix mentionnés sont TTC départ cave)
Caroline Furstoss
sommelierparticulier.com
fulgraff-zehrfuss-traiteur.com
