Sur l'épreuve de la gestion des commis lors de la finale ©Sandrine Kauffer-Binz

Antoine Pétrus “Le concours est le prolongement de notre quotidien”

Antoine Pétrus, Directeur Général du Groupe Taillevent, nourrit une actualité pour le moins dense et intense. Tout juste lauréat au titre d’Un des Meilleurs Ouvriers de France Maitre d’Hôtel 2018, il préparait depuis 6 mois, en simultanée de ses entrainements, un ouvrage sur le vin.
Retour sur les épreuves du MOF, ses impressions, sa préparation, sa force mentale et la consécration modeste de celui qui enfant, comme il l’évoque dans l’introduction de son livre “vIn”, se rêvait un «James Bond » de la salle.

Antoine Pétrus, MOF MH ; «James Bond» de la salle ©Matthieu Garcon.

Si la salle est une scène de théâtre, si le service se joue en plusieurs actes, le directeur/Maître d’Hôtel devient le chef d’orchestre d’une troupe de comédiens, dévoués aux arts de la table et du service en salle.

Antoine Pétrus, répétiteur hors-pairs, partage sa vision du métier, sa préparation aux concours, mais également son approche humaniste et modeste du titre d’Un des Meilleurs Ouvriers de France et la responsabilité qu’il incombe.

 

“Le concours est le prolongement de notre quotidien”

Le concours du MOF est la somme des savoirs, savoir-faire, savoir-être, et faire savoir. Difficile de penser que le savoir-être s’acquiert, mais est-ce raisonnable de dire qu’il est inné ?

“Je travaille le savoir-être par l’observation attentive et minutieuse des Maîtres d’Hôtels, qui sont pour moi des exemples très inspirants”, dit-il citant en premier lieu François Pipala, MOF chez Paul Bocuse. Un mythe, une référence pour le jeune Antoine Pétrus, qui s’offrit alors étudiant, son premier repas dans un 3* Michelin. “J’en rêvais et je m’en souviens encore comme si c’était hier, de l’ambiance, de ce que j’ai mangé, bu, vu, ressenti, de la magie du service de salle, de la rencontre avec le patron, quelle émotion! A la fin du repas, François Pipala nous informe qu’il cherchait des jeunes en salle, la suite vous la connaissez… “, sourit Antoine Pétrus, qui confie s’être rendu chez François Pipala fêter son nouveau titre, comme si la boucle se bouclait. Je lui ai dit en arrivant : “François, je serai toujours votre élève”.

“Quand on est sérieux, rigoureux et passionné par son métier, se présenter à un concours n’est finalement que la continuité de la pratique de son métier. Certes, Il y a plein de recettes secrètes pour préparer le concours, et il faut s’entrainer encore et toujours, mais je ne crois pas aux coups d’éclats, il est impossible de sortir la prestation “canonissime”, le jour J. Notre prestation des épreuves du MOF, n’est que le reflet de ce que l’on fait et de ce qu’on est.”

“La difficulté n’est pas de gagner le MOF”, rajoute Antoine Pétrus, “C’est d’être digne du titre. J’ai mes attentes à gérer et celles des autres. J’ai beaucoup de respect pour le titre, il me semble que le vrai concours commence le lendemain. Je ne fais pas des concours pour exister ni pour devenir quelqu’un. Je m’inscris aux concours parce que j’aime apprendre, sortir de ma zone de confort, j’aime les challenges et les dépassements de soi.”

“En novembre 2018, j’ai 7 ans de direction de salle/ Maître d’Hôtel à mon actif, tout comme en 2011, lorsque j’ai décroché le titre de MOF Sommelier cela faisait 7 ans que j’exerçais. Je me rappelle étudiant, qu’un enseignant me soutenait l’importance de la polyvalence. Je me souviens m’être indigné craignant la perte de l’expertise. Mais, force est de constater qu’il avait déjà raison.”

Sur l’épreuve de la gestion des commis lors de la finale ©Sandrine Kauffer-Binz

Sa préparation

Le coaching Pour se préparer à son second titre de MOF, Antoine Pétrus, expérimenté des concours, ne s’entoure pas d’une team de coaches. Bien au contraire. “J’ai rencontré Rémi Ohayon (Api and You), mais c’est tout. Il y a un danger sur une pluralité des coaches, car c’est aussi la diversité des conseils qu’il faut gérer. Il faut choisir un ou deux personnes qui vous connaissent très bien, identifient vos failles et vous les font travailler, dans le respect de votre personnalité, de votre ADN. Je me suis beaucoup et intensément entrainé.
J’ai aussi consulté d’autres professionnels, qui ont pour exigence dans la pratique de leur métier, le sang froid et une grande maitrise de leurs peurs et de leurs émotions. Ils m’ont enseigné la projection d’une situation et les visualisation positives. Pendant 3 mois, on se prépare physiquement et mentalement à réussir, il faut y croire et, sans prétention, avoir confiance en soi. “S’entrainer sans compter.
Je me souviens que pour préparer le MOF Sommelier, j’avais compilé 2600 heures d’entrainement pour un temps de passage d’1h40. Mais, il ne faut ni s’en plaindre, ni en souffrir, ni parler de sacrifice. Si un concours devient un poids et une charge, vous ne le gagnerez pas, vous allez restituer cette impression. Il faut y prendre du plaisir. Le jour des épreuves, c’est libératoire, j’ai envie de rentrer dans le vif du sujet.

Le grand oral. Le grand oral a été répété au mois 50 fois en situation avec le rétroprojecteur et filmé. C’est difficile de se regarder et se jauger, mais tellement constructif, c’est l’école de la modestie. Il était important de conduire son exposé, sans regarder le diaporama. Je ne devais pas décrocher au risque de perdre l’intérêt du jury. Mais j’ai toujours été à l’aise avec ce type d’exercice, j’aime convaincre un auditoire d’une certaine vérité”.

L’entretien en anglais “J’ai de la chance d’avoir un poste à responsabilités, qui me permet de voyager et le profil de notre clientèle internationale, m’invite quotidiennement à m’exprimer en anglais.

Le chef d’oeuvre et l’épreuve des commis “J’ai organisé 260 découpes en 15 mois, je crois à l’acquisition du geste par la répétition et par la parole.
Depuis deux ans, je me suis remis à dresser les tables, nettoyer les couverts et je me suis entrainé avec mes équipes en salle, qui à leur mesure, ont également été mes coaches. Nous faisons un debrief après l’exercice et leurs observations étaient très importantes. J’ai travaillé les vins comme un Maître-Hôtel et non un sommelier, et pour une approche produit, j’ai aussi passé une journée avec un Meilleur Ouvrier de France poissonnier ”

La thèse. “C’est la première fois qu’un tel exercice était demandé. Auteur de trois livres, je crois en la valeur formatrice de la lecture et l’écriture, qui posent une réflexion et permettent de synthétiser ses connaissances”.

“C’est aussi un engagement et investissement financier (environ 10.000€), mais cela me plait, autant que de m’offrir un beau voyage. ”

Au Taillevent, flambage devant les clients -©Taillevent

Le thème du 26ème MOF MH fait l’éloge du Maître d’Hôtel en 2019

” J’ai mis trois jours à relire le sujet, mot par mot. J’étais très à l’aise avec les épreuves car elles rentraient dans mon quotidien et la pratique de mes responsabilités. Je gère environ une centaine de salariés sur toutes les entités, 7500 références en vins et 325 000 bouteilles. J’ai forcément besoin des outils digitaux pour m’organiser et économiser du temps. Nous utilisons le logiciel Sage pour le personnel. Ainsi, une demande de congés s’affiche sur mon mobile et je peux la valider immédiatement. Il y a une trace de la demande et du refus/validation. Tout est archivé.
Nous utilisons le logiciel Vinistoria qui est très fonctionnel pour la gestion des stocks, la distribution des bouteilles avec des reporting quotidiens et depuis l’étranger. Mais par contre”, précise-t-il, “Je n’opterai pas pour une carte des vins sur tablette, j’ai besoin du côté tactile, du bel objet à prendre en main”.Pour la communication, nous avons une directrice, un community manager et je supervise la stratégie de communication. Je suis très vigilant sur notre présence sur les réseaux sociaux. Nous tenons un calendrier éditorial pour ne pas sur-informer et travaillons avec 2 agences pour les photos. Depuis mon arrivée, nous développons l’événementiel pour créer du contenu et donner du sens à nos publications. Nous avons mis en place les “mercredi vin”, qui se déroulent tous les 15 jours aux caves du Taillevent. C’est une sorte d’afterwork, où des vignerons sont invités, tout comme nous organisons les soirées “Secrets de terroir”, où les vignerons dinent avec les clients au Taillevent.

Nous mettons en place une veille et une surveillance active quotidienne car sur les 50 couverts / service il y a en moyenne 3 à 4 photos postées. Chaque jour, nous vérifions les commentaires publiés et y apportons des réponses, tout comme une personne est dédiée chaque matin pendant 2 heures à la préparation de l’accueil des clients. Elle fait des recherches sur linkedin et l’ensemble des réseaux sociaux. Bien identifier, c’est aussi mieux servir. Enfin, sur mon profil, il n’y a rien de personnel, je prône la retenue ; des journalistes et des clients pourraient consulter les photos.

Pour attirer les collaborateurs, les former et être en phase avec leur centre d’intérêt, je n’hésite pas à parler le même langage. Formations en ligne, supports vidéos, on est passé d’une transmission livresque au digital. Les collaborateurs sont connectés et préfèrent l’interactivité. C’est le meilleur moyen de les faire progresser. Nous demandons également à chacun d’entre eux de faire un exposé, partagé avec l’équipe.

Je me suis entrainé à présenter le vin comme un maitre d’hôtel et non comme un sommelier ©Christophe Meireis

“Je ne me suis jamais autant régalé à préparer un concours que celui-ci”, conclut Antoine Pétrus. “Quand j’ai découvert le sujet, je venais d’atterrir, de retour de Beyrouth. J’étais ravi et je suis reconnaissant au C.O.E .T. d’avoir une vision moderne du métier et de proposer des épreuves contemporaines”.

Par Sandrine Kauffer-Binz

Antoine Pétrus ouvre la porte du Taillevent ©Anne-Emmanuelle Thion